P. Michon cherche toutes les sources possibles pour comprendre les origines de la création de l’œuvre flamboyante d'Arthur, de ce mystère du Verbe, cette grâce qui en a fait un génie. Michon égraine les témoins, ceux qui ont croisé, parlé, respiré le même air qu'Arthur : Ses parents comme objet, source d'exprimer sa colère, son besoin d'amour. Le père ce capitaine fantôme toujours parti pour d'autres garnisons lointaines. Sa mère Vitalie Cuif, femme sombre au caractère difficile et si peu démonstrative. Cette « mère avec sa tête de décembre en plein juillet. »
Ce pourrait être l'émulation vite insuffisante des distributions de prix de fin d'année scolaire où enfant il triomphe avec ses textes. Les professeurs ou autres poètes à qui il montre ses toutes premières pièces de vers, enfin celles qu'il estime montrables. Il y aura Izambart, titulaire de la chaire de rhétorique au collège de Charleville-Mézières ou bien Banville, poète oublié mais estimé de Baudelaire. Ce même Baudelaire si admiré. Puis viendront comme Carjat, Hugo et bien sur Verlaine pour ne citer que ceux-là.
Ce vivant volontaire cadenassé dans ses haines et ouvert toutes portes battantes à l'infinie liberté des amours sans objet, dont l'amour et la haine embrassés avaient pourtant trouvé dans le Verbe un objet si parfait que l’homme, sans cesser de marcher, de vouloir et de maudire, cessa pratiquement d'exister quand le Verbe s’effondra.
Arthur Rimbaud, ce grand vivant, ce génie du Verbe laissant « une œuvre petite et fermée comme un poing, serrée comme un poing sur un sens réservé, une œuvre née d'une vie déchirante comme un poing d'homme qu'on a coupé. »
Qu'est ce qui relance sans fin la littérature ? Qu'est-ce qui fait écrire les hommes ? Les autres hommes, leur mère, les étoiles ou les vieilles choses mornes, Dieu, la langue ?
Qu'est-ce donc que le génie ? Cet "attribut comme surnaturel qui ne se manifeste jamais en soi." Quel est cet être "qui était ou avait été par ailleurs la poésie personnellement ? "
Voilà donc une suite d'interrogations en un texte magnifique où P. Michon donne la pleine mesure à son écriture merveilleuse, l'offre à la gloire d'un des plus grands poètes français. Mais le lecteur reste sans réponses. Faut-il toujours en trouver d'ailleurs ? Ne peut-on garder le mystère tel qu'il est, tel qu'il nous illumine ?
A lire, à relire, à savourer pleinement.
Du même auteur : Les onze (chronique en 5 épisodes), La grande Beune
Dédale
Extrait :
Ça n'était pas non plus du ressort de Banville.
Il apparaît dans cette histoire lui aussi, pas loin d'Izambard, car on sait que l'adolescent lui envoya aux bons soins de l'éditeur Lemerre, des vers dans lesquels il avait mis tout son cœur et les premiers sans doute qu'il jugeât montrables à un poète d'école. Les triomphes de distribution de prix ne lui suffisaient plus ils avaient fait leur office ils avaient nourri dans ce cœur de colère une ambition brutale en même temps qu'y naissait cette faculté incertaine, pose ou besogne, ou révélation d'En-Haut, ou un peu des trois, qu'on appelait dans ces temps le génie, cet attribut comme surnaturel qui ne se manifeste jamais en soi, sur la tête de l'homme ou dans son corps vivant et visible, ni nimbe, ni vigueur, ni beauté, ni jouvence, mais qui se manifeste pourtant dans d'infimes effets, et qu'on vérifie dans la perfection de petits morceaux de langue codée plus ou moins longs, écrits noir sur blanc. On sait que ces morceaux sont généralement infimes. On ne sait jamais s'ils sont parfaits, nous qui les lisons, ou si dans l'enfance on nous a soufflé qu'ils étaient parfaits, et nous le soufflons à notre tour à d'autres, sans fin et celui qui les écrit ne le sait pas davantage, plutôt moins, il ne le sait qu'à l'instant où il accouple les tringles, où s'emboîtant sans bavure comme mortaise et tenon sèchement elles exultent, se referment avec le bruit triomphant des mâchoires, et c'est fini et quand c'est fini de nouveau il tremble, le poète, c'est lui qui est dans les mâchoires, la tringle sur tringle, comme lui fût-il en personne la mâchoire jubilante du requin et le vers personnellement. À sa table donc il tremble comme un rat mais quand il sort, il veut qu'on aperçoive une espèce de nimbe sur sa tête, et qu'on lui dise : car lui-même ne saurait le voir. Et pour en revenir au génie de Rimbaud, à cette très précise ambition furibonde au fin fond des Ardennes dans un bout d'homme renfrogné qui était aussi et en même temps du pur amour – car tout cela est mêlé, byzantin et nombreux comme la vieille théologie -, pour en revenir à lui qui de ce conflit, de ce nœud byzantin, est comme l'emblème, on ne sait pas si l'ambition précède et fomente le génie, à force de labeur l’engendre, ou si au contraire le génie déployant par pur miracle ses ailes s'avise après coup de l'ombre qu’elles font, des hommes qui accourent dans ce mirage, et dès lors celui qui est le jouet de cet attribut fantôme et projette cette ombre s'en infatue, veut l'accroître, se damne.
Rimbaud fils de Pierre Michon - Éditions Folio - 110 pages
Commentaires
mardi 29 mai 2012 à 08h08
J'hésitais à me le procurer, tu m'as convaincue.
mardi 29 mai 2012 à 10h53
Merci Dédale de nous parler à nouveau de Pierre Michon, c'est un auteur dont on aimerait que chacun ait un recueil chez soi, qu'on peut lire et relire sans jamais se lasser.
mardi 29 mai 2012 à 11h04
Lili Galipette, tant mieux. Y a plus qu'à !!
Alice-Ange, si je trouve les mots et l'occasion, je compte bien vous en reparler encore
Et puis l'assocation A. Rimbaud-P. Michon est véritable enchantement.
mardi 29 mai 2012 à 11h11
Dédale : surtout n'hésite pas à nous en reparler, quand à moi je prépare toujours le billet sur "Les Onze", qu'on va peut-être publier en feuilleton ...
mardi 29 mai 2012 à 11h18
Partante pour une "semaine spéciale" sur Pierre Michon. Je finis mon roman SF et je regarde ce que j'ai en stock
mardi 29 mai 2012 à 11h22
Une semaine "Michon" ? Banco !
mardi 29 mai 2012 à 18h44
Je m'inscris aussi,celà me donnera l'occasion de lire Pierre Michon...
mardi 29 mai 2012 à 19h27
Marimile, te voilà inscrite.

Mesdames, je reviens vers vous plus tard pour les modalités.
mercredi 30 mai 2012 à 11h25
Chère Dédale, merci pour cette chronique. Depuis ses Vies minuscules dont je recommande la lecture à tous, Pierre Michon est un des auteurs de chevet de ceux qui aiment l'écriture.
jnf
mercredi 30 mai 2012 à 12h34
Merci, Jnf
Je recommande également ces Vies minuscules, encore un sacré morceau au sujet duquel j'ai été incapable de trouver les mots pour les présenter ici. Un jour peut-être.
vendredi 1 juin 2012 à 02h49
Ah, tu me tentes, là. J'avais bien aimé "Les onze" pour la langue... j'ai bien envie de lire autre chose de l'auteur.
vendredi 1 juin 2012 à 11h41
Michon a peut-être été Rimbaud dans une vie antérieure ?
"C'étaient peut-être les sanglots du grand style, quand par hasard une fois dans votre vie la grâce vous le fait tomber sur la page : ceux que la phrase juste vous arrache quand elle vous tire en avant, ceux qui vous brisent quand le rythme juste vous pousse furieusement dans le dos, et qu'alors ébloui au milieu vous dites le vrai, vous proférez le sens, et vous ne savez pas comment, mais vous savez qu'à l'instant sur la page c'est le sens, c'est le vrai".
Il parle de ce qu'il connaît, Pierre Michon !
Dédale, bravo ! Un billet sur "Rimbaud le fils", je pensais que c'était mission impossible.
Alice-Ange, "Les Onze"! "Les Onze" ! Avant fin douze...
mardi 21 août 2012 à 09h32
Mission remplie pour Alice-Ange puisque son feuilleton sur Les Onze de Pierre Michon est mis en ligne cette semaine.