J'ai découvert Martin Sutter il y a un an et demi avec Small world et j'avais été enthousiasmée. Sylvaine m'avait alors conseillé la lecture d'Un ami parfait, que j'avais acheté dans la foulée. Et puis le temps a passé et ce n'est qu'il y a quelques semaines que je me suis lancée dans ce roman diabolique. On retrouve ici la thématique de la perte de la mémoire et du complot, déjà présents dans Small World, ainsi qu'un traitement de l'intrigue à la façon d'un roman policier.
En se réveillant, Fabio Rossi s'attend à voir son ami Lucas et sa compagne Norina. Si Lucas est bien là, quoiqu'un peu distant, celle qui s'annonce comme étant sa compagne se prénomme Marlène et est aussi blonde que Norina était brune. Premier élément de trouble pour Fabio, qui en plus de n'avoir aucun souvenir de la jeune femme, ne se sent pas particulièrement attiré par elle et se sent toujours aussi éperdument amoureux de Norina. En cherchant à comprendre ce qui lui est arrivé dans les semaines précédent son agression, Fabio va de mauvaises surprises en mauvaises surprises. Même son meilleur ami Lucas semble sous entendre qu'il était devenu peu fréquentable. Fabio cherche alors à s'appuyer sur des éléments factuels, comme son agenda électronique ou ses mails. Mais en allumant son ordinateur, il découvre que tout a été effacé. Persuadé que tout est lié à sa précédente enquête journalistique (les désespérés qui se suicident en se jetant sous les trains), Fabio décide de reprendre l'enquête là où s'arrête ses souvenirs.
Si la narration est à la troisième personne, elle reste focalisée sur le point de vue de Fabio. Le lecteur est donc prisonnier de sa mémoire parcellaire et avance à tâtons au même rythme que Fabio, ce qui entretien le suspense de la première à la dernière page. Qui est réellement Fabio Rossi ? Pourquoi a-t-il été agressé ? Sur quoi enquêtait-il avant de se retrouver à l'hôpital ? Comme dans Small World, Martin Sutter s'amuse des mécanismes complexes de la mémoire pour bâtir son intrigue. Mais il est aussi question ici de ce qui fait la personnalité d'un individu. Peut-on changer totalement de vie et de valeurs en quelques semaines ? Un coup à la tête peut-il non seulement effacé nos souvenirs mais aussi modifier en profondeur notre identité ?
De l'enquête journalistique de Fabio, je ne dirai évidemment rien, mais c'est là encore une agréable surprise car elle n'est pas simplement un alibi à l'intrigue policière et participe pleinement à l'intérêt de ce roman.
Une belle découverte en somme et je remercie Sylvaine pour ce conseil fort judicieux.
Du même auteur : Allmen et les libellules, Small World, Business Class, Le cuisinier
Laurence
Extrait :
- Mais il faut bien que je sache ce qui s'est passé. Il faut que je puisse reconstituer tout ça.
Lucas oublia qu'ils attendaient la glace et avala une gorgée de thé.
- Il faut vraiment ?
Fabio le dévisagea sans comprendre.
- Tu n'avais pas forcément changé à ton avantage. Tu ne peux pas laisser ça de côté, tout simplement ?
Fabio éclata de rire.
- Ces journées ont été effacées de ma mémoire, pas de ma vie. J'ai perdu ma compagne, mon boulot et un paquet de gens qui avaient de la sympathie pour moi. Je ne peux pas me contenter de tourner la page et de passer à autre chose.
Les doigts de Lucas tournaient autour de son verre
- Comment comptes-tu procéder ?
- Nous nous asseyons avec nos agendas et nous passons en revue chaque journée.
- Ça sera très fragmentaire.
- Nous puiserons dans d'autres sources pour boucher les trous.
- Il vaudrait mieux faire l'inverse. Nous ne nous sommes pas vus beaucoup pendant ces semaine-là. La plupart du temps, tu étais avec d'autres gens.
- Avec qui ?
Lucas haussa les épaules.
- Tu frayais dans d'autres milieux.
- Lesquels ?
- Je ne connais pas ces gens-là. Demande à Marlène.
Un ami parfait de Martin Suter - Éditions Folio - 373 pages
Traduit de l'allemand (Suisse) par Olivier Mannoni
Commentaires
mercredi 30 mai 2012 à 10h17
J'adore Martin Suter, et j'ai lu cet "ami parfait" il y a quelques temps et il est ici très bien restitué. On ne dira rien de la fin, parce qu'elle va sûrement surprendre le lecteur comme on l'a été à la première lecture...
mercredi 30 mai 2012 à 11h27
Je n'ai jamais lu Martin Suter, et tu es bien tentante avec cette chronique.
Je vais l'ajouter à la liste des "potentiels à découvrir"
Merci
mercredi 30 mai 2012 à 12h30
pour moi l'un des meilleurs de Suter avec Small World j'aime beaucoup moins les derniers
mercredi 30 mai 2012 à 19h17
Jamais lu Martin Suter non plus, mais pour moi qui souhaite lire un peu plus souvent suisse, voilà un billet qui tombe fort bien!
vendredi 1 juin 2012 à 02h45
Tempting. Juste ton billet donne le goût de savoir ce qui a bien pu se passer!
vendredi 1 juin 2012 à 13h59
Pour ceux qui ont envie de découvrir Marin SUTER, je vous recommande aussi "le cuisinier" : une histoire de cuisinier tamoul plongé dans un milieu d'affaires suisse, et qui invente des recettes aphrodisiaques - et les recettes sont données dans le livre ! Vraiment excellent ...
dimanche 3 juin 2012 à 10h59
Pas lu non plus Martin Suter, mais à la lecture du billet de Laurence et des commentaires qui ont suivi, j'ai envie de le découvrir et de le mettre sur la liste des "potentiels" selon l'expression de Valeriane.
jeudi 7 juin 2012 à 20h00
Valeriane, Kali, Karine:) et Marimile : ce n'est pas un turn-page mais j'ai vraiment aimé la construction et les questions que soulèvent cette narration. J'espère que vous aimerez aussi.
Alice-Ange : je note donc Le Cuisinier
Sylvaine : merci pour cette découverte
samedi 9 juin 2012 à 19h30
J'ai découvert Martin Suter avec l'Ami Parfait, j'ai bien aimé, bien qu'un peu perdue par moments mais c'est justement le problème de Fabio ; je vais donc lire Small word et aussi le Cuisinier dont Alice Ange nous allèche les papilles avec les recettes à découvrir !
dimanche 10 juin 2012 à 08h55
Martine R. : je ne peux encore rien te dire pour Le Cuisinier puisque je ne l'ai pas lu, mais je garde un très bon souvenir de Small World. J'avais été frappée par l'étude de caractères offert par ce récit.