© Denis Dailleux Cosmopolite, observateur lucide des maux propres à cette région mais aussi défenseur du Sud contre l’impérialisme nord-américain, il se mit au service du gouvernement mexicain, d’abord dans les services culturels du Ministère des Affaires étrangères, puis à Genève auprès de L’Organisation Internationale du Travail, en fin, comme ambassadeur en France, de 1974 à 1977. Il enseigna aussi dans de prestigieuses universités, américaines et anglaise. Il mena donc une triple carrière d’enseignant, de diplomate et d’écrivain, comme nombre d’intellectuels latino-américains de cette époque. Si on ne peut dissocier chez lui la politique de la littérature, c’est par les lettres qu’il se fit connaître. Sa passion pour l’écriture remonte à l’enfance, et à l’âge de 12 ou 13 ans il écrit des nouvelles, publiées dans un journal chilien. En 1955, il fonde avec un autre grand auteur mexicain Octavio Paz, La Revue mexicaine de littérature et une maison d’édition, « Siglo 21 ». Il publie son premier roman « La plus limpide région ». Suivront une cinquantaine d’ouvrages, articles de journaux, essais, scénarios de films, théâtre, nouvelles, romans. Il n’a cessé d’écrire, jusqu’à sa mort. Son dernier ouvrage, Federico en su balcon, évocation de Nietzsche, venait d’être remis à son éditeur.
Dans cette œuvre multiforme, j’ai choisi quelques titres, que je voudrais présenter ici. Ce sont des œuvres que j’ai aimées et/ou qui me semblent représentatives de leur auteur. Elles ont paru en traduction française chez Gallimard, sauf pour l’une d’elles, et on peut les trouver en livre de poche.
La plus limpide région (1958), devenu un classique de la littérature hispanique, est un portrait au vitriol de la société mexicaine issue de la Révolution de 1910, avec ses nouveaux riches, et ses éternels perdants. Le style, lyrique et flamboyant emporte le lecteur dans le Mexico des années 50, bien loin de la capitale « à l’air limpide » que fut Tenochtitlan à l’époque aztèque. Car le véritable héros du livre n’en sont pas les personnages, mais la ville elle-même, grouillante, complexe, violente.
Je me souviens encore du choc que représenta pour moi, alors jeune étudiante, la lecture de La mort d’Artemio Cruz (1962) véritable radiographie de l’histoire mexicaine. Tant le parcours du « héros » qui se confond avec celui du Mexique que la construction en flash-back et le style percutant, m’avaient captivée. Sur son lit de mort, le vieux notable Artemio Cruz se remémore son passé. Il est l’incarnation de cette nouvelle classe sociale qui, après s’être battue pendant la Révolution de 1910 pour plus de justice sociale et une meilleure répartition des richesses, accapare celles-ci et se maintient au pouvoir par les compromissions et la corruption. Le corps abîmé du mourant n’est plus que la traduction visible de la gangrène qui ronge le pays.
Dans ces deux premiers romans, Carlos Fuentes développe déjà quelques uns des thèmes constants de son œuvre : l’imbrication entre destin individuel et destin collectif, l’identité mexicaine - la mexicanidad -, le métissage, les variations autour du temps, présence obstinée du passé dans le présent, temps cyclique. Il donnera d’ailleurs plus tard, dans les années 90, le titre La Edad del Tiempo - L’Àge du Temps - à l’ensemble de son œuvre. Tous ces thèmes se retrouvent brassés, enrichis dans son œuvre maîtresse, Terra Nostra (1977).
© Ulf Andersen - Getty imagesTerra Nostra est une vaste fresque qui embrasse l’Histoire, la mythologie, la philosophie et le fantastique. Elle commence et se termine à Paris à la veille de l’an 2000, mais l’essentiel du roman se situe aux frontières du Moyen-âge et de la Renaissance, au début de la Conquête du Nouveau Monde. Une foule de personnages s’y bouscule, historiques comme Hernan Cortés ou Jeanne la Folle, littéraires tels Don Quichotte ou Don Juan. Le personnage central est le « Seigneur », tout à la fois Charles-Quint, Philippe II et Charles II, le dernier Habsbourg, dont le rêve est la construction d’un palais-tombeau, semblable à L’Escorial. Terra Nostra, « longue réflexion sur le pouvoir » selon les paroles mêmes de C. Fuentes, est aussi une méditation baroque sur le temps, un temps qui abolit toute chronologie et se déroule en spirale. On y trouve des pages saisissantes, telles celles qui décrivent la longue procession de Jeanne la Folle, promenant de couvent en couvent le cercueil de son époux Philippe le Beau à travers la Castille, par un été torride. Cette œuvre inclassable a été couronnée par le prix Romulo Gallegos, le plus prestigieux d’Amérique latine.
Les années avec Laura Diaz (1999) fait pendant à La Mort d’Artemio Cruz, mais cette fois-ci, l’auteur se met dans la peau d’une femme, Laura Diaz, dont il a découvert le visage dans une fresque de Diego Rivera, à Détroit. Il va rendre hommage à cette femme, morte depuis, en retraçant sa vie, qui se déroule pendant une grande partie du XXème siècle, de Vera-Cruz à Mexico et autres lieux. Et c’est bien sûr toute l’histoire du Mexique de ce siècle qui est présentée ici. La forme est plus classique que celle des romans cités, mais la narration tout aussi passionnante.
Ce que je crois (Grasset 2003) dédié à son fils disparu, est une sorte d’essai autobiographique, en forme d’abécédaire, où l’auteur évoque son parcours d’écrivain engagé, ses amitiés (Buñuel), ses auteurs préférés (Balzac, Faulkner, Kafka), rend hommage à sa femme, Sylvia… C’est une excellente introduction à son œuvre.
Dans Le Bonheur des familles (2006) enfin, composé de 16 récits virtuoses, il met en pièces l’institution familiale et dénonce une fois de plus ces maux mexicains récurrents que sont la violence et le machisme.
J’espère qu’avec ces lignes j’aurai donné envie de lire ou relire Carlos Fuentes, non seulement immense écrivain, mais aussi un homme attachant, qui se définissait par « l’attention » qu’il portait au monde et à la vie.
Marimile
Ouvrages de Carlos Fuentes chroniqués sur Biblioblog : L'instinct d'Inez
Commentaires
jeudi 31 mai 2012 à 07h53
Marimile, je ne sais pas si je dois te féliciter pour ce bel hommage à C. Fuentes. Mais il tombe à point pour me guider vers de nouvelles découvertes. Encore de belles heures en perspective. Si, finalement, merci, merci
jeudi 31 mai 2012 à 08h57
MERCI MARIMILE
s'il y a bien un écrivain qui mérite un hommage c'est bien Mr Carlos Fuentes .
Je me souviens être sotie sonnée de la lecture de Terra Nostra
Encore de somptueuses idées de lectures!
jeudi 31 mai 2012 à 09h34
Merci à toi, Dédale. Mais peut-être au lieu de me féliciter vas-tu me maudire, car avec C. Fuentes on est loin de voguer sur un long fleuve tranquille! mais le voyage en vaut la peine!
jeudi 31 mai 2012 à 09h35
Merci à toi, Dédale. Mais peut-être au lieu de me féliciter vas-tu me maudire, car avec C. Fuentes on est loin de voguer sur un long fleuve tranquille! le voyage cependant en vaut la peine!
jeudi 31 mai 2012 à 09h43
bon, j'en bégaie! oui, Sylvaine, on sort de "Terra Nostra" littéralement lessivés! et ma prochaine chronique sera pour "La mort d'Artemio Cruz".
jeudi 31 mai 2012 à 16h19
Brillant portrait, bravo. Pour ma part j'ai lu "dans le bonheur des familles" à sa sortie, mais j'ai envie d'en savoir plus désormais sur ce fameux mexicain. Dommage qu'il faille parfois attendre qu'ils partent pour redécouvrir les grands auteurs du 20ème siècle, mais ce billet nous le restitue avec beaucoup de vie, et c'est ça le plus important.
vendredi 1 juin 2012 à 13h22
Bonjour et merci pour cet hommage.
samedi 2 juin 2012 à 20h45
Merci aussi à vous Sylvaine, Alice-Ange,et Virginia L. Si ça pouvait donner envie de découvrir ou redécouvrir C.Fuentes!