Ferrer tient une galerie d'art installée dans le IXème arrondissement à Paris, dans son ancien atelier de sculpteur. Cet ancien artiste s'est reconverti dans la promotion des autres artistes, peintres et sculpteurs d'art contemporain. Les temps sont durs, la galerie s'étiole, Ferrer aussi, son cœur surtout dixit Feldmann son cardiologue : pas de températures extrêmes pour les cardiaques !

Travaille avec lui un personnage peu reluisant Delahaye, toujours mal habillé, la cravate de travers, le cheveu pas très net, la moustache mal taillée. Ce dernier s'occupe du relationnel avec les artistes, mission souvent ingrate et surtout il sert d'informateur signalant à Ferrer les bonnes opportunités. C’est ainsi que Ferrer part pour le pôle Nord afin d'y récupérer si possible le chargement d'un navire échoué dans la banquise, La Nechilik, bateau d'antiquités lapones fort anciennes. Quand vous saurez qu'à son retour, tout son monde va s'écrouler, sa vie basculer, vous pourrez sans peine imaginer que ce chargement fera des envieux.

Avec tous ces ingrédients, une écriture qui lui est propre, Echenoz nous livre ici un petit bijou. Certes il y a un semblant d'histoire policière mais surtout il y a l'histoire de tous ces personnages, Ferrer, Delahaye, Baumgartner, Le Flétan et celle de toutes ces femmes qui passent, restent parfois et partent toujours ! Par petites touches, des phrases courtes, l'emploi du « on » et du « nous », Echenoz nous convie à visionner la vie de ces héros.

Si vous aimez voyager, laisser vous embarquer pour le Grand Nord. On se pince, on s'y croit, ah le passage du cercle polaire avec bizutage obligatoire ! Alternant narration au présent, souvenirs, changement d’acteur, son narrateur nous amène en douceur au dénouement de cette aventure qui n'est pas vraiment une fin mais sûrement un début !
Vous l'aurez compris j'ai beaucoup aimé Je m'en vais et me réjouis à l’avance en pensant à tous les titres qu’il me reste à découvrir.

Sylvaine

Du même auteur : 14, Courir, Des éclairs, Caprice de la reine

Extrait :

Depuis cinq ans, jusqu’au soir de janvier qui l’avait vu quitter le pavillon d’Issy, toutes les journées de Félix Ferrer sauf le dimanche s’étaient déroulées de la même manière. Levé à sept heures trente, passant d’abord dix minutes « aux toilettes » en compagnie de n’importe quel imprimé, du traité d’esthétique à l’humble prospectus, il préparait ensuite pour Suzanne et lui-même un petit déjeuner scientifiquement dosé en vitamines et sels minéraux. Il procédait alors à vingt minutes de gymnastique en écoutant la revue de presse à la radio. Cela fait, il réveillait Suzanne et il aérait la maison.
Après quoi Ferrer, dans la salle de bains, se brossait les dents jusqu’à l’hémorragie sans jamais se regarder dans la glace, laissant cependant couler pour rien dix litres d’eau municipale froide. S’y lavait toujours dans le même ordre, immuablement de gauche à droite et de bas en haut. S’y rasait toujours dans le même ordre, immuablement joue droite puis gauche, menton, lèvre inférieure puis supérieure, cou. Et comme Ferrer, soumis à ces ordres immuables, se demandant chaque matin comment échapper à ce rituel, cette question même en était venue à intégrer le rituel. Sans avoir jamais pu la résoudre, à neuf heures il partait pour son atelier.

Je m'en vais
Je m'en vais de Jean Echenoz - Éditions de Minuit - 256 pages