Christine souffre d'une double amnésie : une amnésie post-traumatique qui a effacé les souvenirs précédents l'accident dont elle a été victime il y a 20 ans, mais aussi une amnésie plus rare, qui efface chaque nuit les souvenirs de la journée écoulée. Voilà donc 30 ans qu'elle se réveille chaque matin sans savoir qui elle est devenue, ni qui est l'homme qui dort à côté d'elle. Chaque jour, elle doit donc reconstruire son histoire en sachant que comme Sisyphe, tout sera à recommencer le lendemain.

Après la lecture d'Un ami parfait, me voici à nouveau plongée dans un roman traitant des défaillances de la mémoire. Mais là où Martin Sutter profitait de l'amnésie de son protagoniste pour nous interroger sur la question de l'identité et les changements de personnalité, S.J. Watson nous offre une intrigue totalement novatrice et machiavélique. Comment raconter une histoire si tout s'évapore dès que l'on s'endort ? Pour contourner ce problème de taille, S.J. Watson a décider de bâtir son roman autour du journal intime de Christine. Chaque soir, avant d'aller dormir, elle remplit des pages et des pages pour se souvenir de ce qu'elle a fait pendant la journée. Mais son propre mari ignore l'existence de ce journal et c'est un médecin, qui doit lui rappeler qui il est chaque jour, qui l'aide dans ce travail thérapeutique. Mais pourquoi le mari de Christine doit-il être tenu écarté de ce secret ? Que risque de découvrir Christine en fouillant dans son passé ? Et comment savoir en qui l'on peut avoir confiance quand on oublie tout chaque matin ?

Avant d'aller dormir est sûrement l'un des meilleurs thrillers que j'ai lu cette année et ce pour au moins deux raisons : la première tient à l'idée même de l'intrigue, si différente de ce que nous propose habituellement le thriller. La seconde repose sur la construction narrative. Si l'idée de départ est bien évidemment une excellente trouvaille, il fallait beaucoup de talent pour réussir à construire un roman de plus de 400 pages sans jamais perdre en cohérence ni en rythme. S.J. Watson a créé un piège redoutable dans lequel le lecteur s'embourbe dès les premières lignes. Nous sommes Christine, incapable de savoir à qui ou à quoi nous fier, obligés de faire avec le peu d'éléments à notre disposition, condamnés aux dires de ceux qui disent connaître la vérité, sans avoir aucun moyen de savoir s'ils mentent.

J'avais repéré ce roman à sa sortie et m'étais promis d'y jeter un œil. Mais je ne m'attendais certainement pas à être aussi emballée. S.J. Watson signe ici son premier roman, et quel roman ! Si les suivants sont de la même veine, il y a tout à parier que leur auteur deviendra très vite aussi connu que les grands maîtres du thriller.

Laurence

Extrait :

Je retourne dans la chambre. J'ai toujours la photo dans la main - celle de moi et de l'homme à côté de qui je me suis réveillée - et je la tiens devant moi.
« Que se passe-t-il ? » dis-je. Je crie, les larmes coulent sur mon visage. L'homme se redresse brusquement, les yeux mi-clos.
« Qui êtes-vous ?
- Je suis ton mari », dit-il. Son visage est bouffi de sommeil, il ne relève pas la moindre trace de lassitude. Il ne regarde pas mon corps nu.
« Nous sommes mariés depuis des années.
- Comment ça ? » dis-je. J'ai envie de m'enfuir en courant, mais où pourrais-je aller ? « Mariés depuis des années ? Comment ça ? »
Il se lève.
« Je vais t'expliquer », dit-il, et il me passe la robe de chambre ; il attend que je l'aie enfilée. Il porte un pantalon de pyjama trop grand pour lui et un maillot de corps blanc. Il me rappelle mon père.
« Nous nous sommes mariés en 1985, dit-il. Il y a vingt-deux ans. Tu… »
Je l'interromps.
« Quoi… ? »
Mon sang se fige dans mes veines, la pièce se met à tourner autour de moi. Une horloge émet un tic-tac quelque part dans la maison, et ce bruit me paraît aussi fort qu'un coup de marteau.
« Mais… ? » Il fait un pas vers moi. « Comment… ? »
- Christine, tu as maintenant quarante-sept ans », dit-il.

Avant d'aller dormir
Avant d'aller dormir
de S.J. Watson - Éditions Sonatines  - 410 pages
Traduit de l'anglais par Sophie Aslanides