Ben est un trentenaire un peu paumé, seul blanc à vivre en plein milieu du Bronx. Il a accepté un boulot de gardien de chantier, fréquente les bars à putes et passe le reste de son temps enfermé dans sa piaule merdique. Pour la plupart de ses voisins, Ben est simplement un raté. Jusqu'au jour où il réchappe miraculeusement à un accident de chantier qui aurait dû le tuer sur place. Mais voilà que défiant tous les pronostics médicaux, il se rétablit de façon spectaculaire et s'échappe pour rejoindre des encore plus paumés que lui dans les sous-sols de New-York. Ce n'est alors que le début de l'étrange périple de cet homme extra-ordinaire.

Ils sont 13 à nous raconter cette incroyable histoire : les 12 apôtres convertis et l'amante de Ben Zion, une ancienne prostituée. Tous sont unanimes, Ben Zion est le nouveau Messie. Mais à quoi ressemblerait un Messie dans le New-York du XXe siècle ? Sans doute pas à ce que souhaiteraient les hauts dignitaires des différentes religions en place. En effet, Ben récuse toutes les religions en place, qu'elles soient juives, chrétiennes ou musulmanes. Son évangile est assez simple : aimez vous les uns les autres, quelque soit votre sexe et tant que vous êtes encore vivant, car il n'y a rien à attendre dans l'au-delà. Un messie qui se drogue, parle avec Dieu pendant de graves crises d’épilepsie, couche aussi bien avec des femmes que des hommes, accepte l'avortement et le droit des femmes à disposer de leur corps, récuse l'idée même de vie éternelle, voilà qui a de quoi énerver quelque peu les religions en place. Qui est-il vraiment ? Un hippie ? Le chef de file d'une nouvelle secte ? Un fou dangereux ?

La première fois que j'ai entendu parler de ce roman, c'était par l'intermédiaire d'un libraire qui le lisait en version originale et était tombé sous le charme de structure narrative. En effet, reprenant le principe de l'évangile, James Frey ne donne jamais directement la parole à son Messie mais nous raconte ses frasques par l'intermédiaire de ceux qui ont croisé son chemin (des toxicos, des médecins, des fous de dieu, des putes, des flics, etc.) et sous la forme de versets.
Si la traduction française retranscrit effectivement les spécificités langagières de chacun des personnages, il semble que l'aspect formel ait souffert en passant de la langue de Shakespeare à celle de Molière. Elle se résume ici à des passages à la ligne arbitraires mais non à une volonté de versification.

Ce bémol étant énoncé, Le Dernier Testament de Ben Zion reste un ouvrage particulièrement intéressant et original. Comme on peut s'en douter, James Frey se lance ici dans une charge extrêmement forte contre toutes les intolérances et aucune religion monothéiste échappe à la critique. Mais James Frey ne limite son propos aux religions. Le Dernier Testament de Ben Zion est aussi une attaque frontale de nos sociétés de consommation et des politiques gouvernementales américaines.

La parole de Ben Zion ne peut-être qu'irrévérencieuse et foutrement jubilatoire. Bien sûr, le choix d'un roman choral où chacun témoigne de ce qu'il a vu, implique quelques répétitions et cela pourra agacer certains qui y verront des longueurs inutiles. En ce qui me concerne, cela ne m'a pas gênée et j'imagine qui si je lisais aujourd'hui le Nouveau Testament, j'y trouverai le même écueil. Non, ce que je retiendrai surtout de cet ouvrage c'est le renversement total de situation proposé par James Frey : voilà 2000 ans que toutes les religions sont dans l'erreur. Il n'y aurait pas de Dieu omnipotent qui nous aurait créé à son image et nous garderait une place de choix après notre mort. Tout cela n'est que foutaises et mensonges pour nous garder sous contrôle. En fait, notre paradis est maintenant, sur terre, dans l'orgasme et l'amour partagé. 

Alors, allez dans l'amour du Christ et du sexe puisque Ben est descendu sur terre pour répandre la bonne parole !

Laurence

Extrait :

Et tous, mes frère et sœurs, nous espérions. Il s'est
arrêté devant notre jeune frère Jérémie, qui est la
dernière personne que j'aurais cru qu'il choisirait.
Jérémie avait les yeux levé sur lui. Je voyais ses lèvres
et ses mains qui tremblaient. Il avait l'air terrifié. Il était
sur le point de recevoir le plus beau cadeau qu'on
puisse demander dans cette vie. Il était sur le point de
se voir offrir un miracle. [...]
[...] Il s'est penché très lentement,
tout en continuant à regarder Jérémie. L'a embrassé sur les lèvres. Et ce
n'était pas le genre de baiser que vous donnez à votre
grand-mère. C'était un vrai baiser. Ça a commencé
doucement mais ça a très vite chauffé. En quelques
secondes ils flirtaient comme des adolescents ivres. Ben
a mis les mains sur les épaules de Jérémie, a repoussé
sa chaise et s'est assis sur ses genoux. Et ça continuait.
Nous étions tous trop choqués pour faire quoique ce
soit. À l'époque, je n'ai pas compris ce qui se passait ni
pourquoi. Pour moi c'était juste une exhibition
choquante et dégoûtante de perversité et de déviance
homosexuelle. Un homme sur les genoux d'un autre,
s'embrassant comme s'ils étaient amoureux. Comme si
la sainte Bible, la parole de Dieux, la plus vraie des
vraies, la plus divine des divines, s'était trompée.

Le dernier testament
Le dernier testament de Ben Zion Avrohom
de James Frey - Éditions Flammarion  - 382 pages
Traduit de l'anglais par Michel Marnay