Ces 14 textes sont initialement parus dans des quotidiens de la presse suisse, entre 1992 et 2004, avant même que le premier roman de Martin Suter ne soit publié. Ce sont donc les premières œuvres littéraires de cet auteur aujourd'hui mondialement connu. Et déjà, on ne peut qu'admirer son sens de la formule et de l'observation.

La nouvelle qui ouvre le recueil, Schwegler, héros du travail, donne le ton : Schwegler fait parti de ces cadres dont la capacité de travail laisse tout un chacun admiratif. Arrivé dans les bureaux aux premières heures du matin, il enchaîne les rendez-vous et les réunions et ne repart que tard le soir, après l'équipe de nettoyage. C'est du moins ce que croit toute l'entreprise. Car Schweger a bien compris qu'il ne faut pas travailler plus pour gagner plus mais simplement le laisser croire aux autres.

Cette chronique d'à peine deux pages est à l'image de toutes celles qui suivent : l'écriture de Martin Suter est précise, tranchante et met de côté tout ce qui peut-être superflu. Deux ou trois phrases suffisent à nous projeter dans la nouvelle situation proposée et à nous rendre vivants chacun des protagonistes portraituré avec humour et cynisme.

Après Schwegler, c'est toute la panoplie caricaturé de ce que l’entreprise peut créer de pire comme petit chef et hiérarchie tyrannique et méprisante : il y a Moser, qui « sacrifie » ses vacances près des siens pour pouvoir glander au boulot tranquillement ; Zumstein qui rêve de gloire médiatique ; Lautenschlager qui se livre à l'exercice de l’introspection, si important pour la bonne santé de l'entreprise ; Weibel qui déteste Amacher ; Stüdeli, qui cherche sa part de féminité pour survivre dans le top-management ; Gempeler qui prend un malin plaisir à terroriser ses collaborateurs ; Hunold, qui manage ses enfants comme ses employés ; Jüker qui ne peut envisager de prendre quelques jours d'arrêt et ce même s'il doit être opéré en urgence ; Schnuriger, si fier que son fils de 6 ans veuille devenir un General Manager. Mais il y a aussi la famille Koller obligée d'annuler sa soirée de réveillon pour répondre à une invitation de dernière minute du directeur de monsieur ; ou encore la pauvre madame Hafner dont les employeurs sont incapables de mémoriser le nom après 25 ans de bon et loyaux services. Sans oublier le regard que porte l'entreprise sur ces femmes qui osent espérer des postes à responsabilité.

Avec un art de la concision remarquable, Martin Suter dissèque tous les travers des classes dirigeantes : c'est drôle, cynique, souvent méchant, mais tellement jouissif. Dans cette société où la valeur travail semble si prédominante, cela fait un bien fou ! Et puis chacun pourra y reconnaître un chef, un collègue ou une ancienne relation de travail. Un petit recueil de nouvelles amères et féroces à déguster sans retenue.

Du même auteur : Small world, Allmen et les libellules, Un ami parfait, Le cuisinier

Laurence

Extrait de Schwegler, héros du travail :

Schwegler est revenu. Enfin, personne ne l'a vu pour le moment, mais si l'on se fie au planning, Schwegler est revenu. Sa BMW est garée au sous-sol, et sa secrétaire, non, son assistante personnelle, a fait savoir qu'en arrivant, le matin, elle a trouvé le cendrier de Schwegler déjà rempli, six gobelets de café en plastique vides sur son bureau et son gilet léger en laine accroché au dossier du fauteuil réservé aux visiteurs. Il avait déjà sans doute abattu ses six heures, avant le petit déjeuner. Schwegler tout craché.

Business class
Business Class
de Martin Suter - Éditions Bourgois  - 61 pages
Traduit de l'allemand (Suisse) par Olivier Mannoni