Le narrateur, Jack, est un petit garçon qui vient de fêter ses cinq ans. Pour ce jour si particulier, sa maman lui offre un portrait de lui qu'elle a dessiné pendant qu'il dormait. Même s'il est un peu déçu, il ne le dit pas trop à sa maman pour ne pas lui faire de la peine. Après le petit-déjeuner, Jack et sa maman font du sport. Mais il faut pour cela enlever Madame Table et Monsieur Tapis pour avoir de la place. Il faudra ensuite faire le ménage et Maman lui racontera une histoire. Et puis Jack aura le droit de regarder Dora l'exploratrice dans Madame Télé avant de manger et de rejoindre Petit Dressing pour dormir. Il espère juste que Grand Méchant Nick ne viendra pas dans la nuit.
En fait, Jack semble aussi heureux que n'importe quel petit garçon de son âge... à ceci près, qu'il n'est jamais sorti de la Chambre et n'a jamais connu personne d'autre que Maman. Mais peu lui importe puisque le Dehors n'est pas vrai. Le Dehors c'est ce qu'il voit dans Madame Télé et qui n'existe nulle par ailleurs (les enfants, les glaces, les animaux, Dora l'exploratrice, etc.). Pour Jack l'univers se résume à cet espace clos et les deux seules choses qui le perturbent sont Grand Méchant Nick (mais existe-il vraiment ? ) et quand sa maman reste allongée sur Monsieur Lit toute la journée parce qu'elle est Ailleurs.
Mais pourquoi Jack et sa maman ne sortent-ils jamais de cette chambre ? Si la réponse vient assez vite, et même si beaucoup de billets publiés sur ce roman en parlent clairement, je n'en dirai pas un mot ici car Emma Donoghue laisse volontairement planer le doute pendant quelques pages. Ce qui est sûr par contre, c'est que Maman a décidé que Jack était maintenant assez grand pour connaître le Dehors. Elle est donc prête à prendre tous les risques pour cela, et grâce à Jack elle va y parvenir. Pourtant, une fois Dehors, le plus dur reste à faire. Comment retrouver des repères quand son univers, réduit à quelques mètres carrés, devient tout à coup aussi vaste ?
Room est un roman absolument extraordinaire !
On y entre en se confrontant d'abord à un style. En faisant de Jack son narrateur, Emma Donoghue est obligée de réinventer une langue, une conception du monde. Il fallait réussir à trouver les mots justes pour que ce qui paraît inconcevable à chacun d'entre nous soit parfaitement naturel pour un enfant qui n'a jamais rien connu d'autre. Nous parcourons donc chaque centimètre carré de cette chambre en compagnie de Jack à la découverte de Madame Rocking Chair, Madame Lucarne, Madame Baignoire ou Madame Commode. Ces objets du quotidien deviennent dans la bouche de Jack des compagnons nécessaires à son équilibre. Tout est simple dans la Chambre, même s'il faut prévoir longtemps à l'avance ce dont on a besoin pour pouvoir les demander en Cadeau du Dimanche.
Ce style très enfantin et imagé peut certes déconcerter (ou même agacer) mais c'est à mon sens l'une des grandes qualités de ce récit, car tout était à inventer pour réussir à faire de cette anormalité la réalité quotidienne et banale d'un jeune enfant. Toute la première partie nous immerge donc dans cette relation fusionnelle entre l'enfant et sa mère, deux êtres qui semblent se suffirent à eux même.
Mais quand Maman décide qu'il leur faut sortir de la Chambre, le monde Jack va imploser. Tout à coup, il va réaliser que le monde n'est pas la Chambre, que le monde est bien plus vaste et effrayant, mais aussi peut-être bien plus beau.
Et c'est là l'autre très grande qualité de ce roman. Emma Donoghue aurait en effet pu clore son récit en ouvrant la porte de la Chambre et laisser le lecteur imaginer la suite. Nous aurions eu alors une happy-end mais qui aurait laisser en suspens le cœur du problème. Car comment appréhender le monde quand tout ce en quoi l'on croyait depuis sa naissance est faux ? Comment continuer de croire celle qui nous a maintenu dans le mensonge ? Comment (re)trouver une vie normale après tant d'années d'isolement ?
Toute la seconde moitié du roman nous raconte donc l'Après. Une fois que les portes ont été ouvertes et que Jack et Maman se retrouvent projetés dans le vrai monde. Une fois que l'univers ne se résume plus seulement à eux deux et un petit espace mais à des milliers de personnes et un monde sans limite géographique. Emma Donoghue parvient avec beaucoup d'intelligence à retranscrire le vertige et la peur qui s'emparent de Jack. Car si la Chambre était petite, elle était au moins rassurante, ce qui n'est pas le cas de ce Dehors si nouveau et étrange et qui semble rendre sa maman encore plus malheureuse.
Room est un roman saisissant qui parle à la fois de notre capacité à survivre et à nous adapter mais aussi des liens fusionnels qui unissent une mère et son enfant. Un très beau roman dont il faut saluer le somptueux et délicat travail de traduction de Virginie Buhl.
Laurence
Extrait :
- Tu sais quoi ? » Elle se relève. « Il faut qu'on inscrive le repère de ta taille maintenant que tu as cinq ans. »
Je saute en l'air, superhaut.
D'habitude, j'ai pas le droit de dessiner nulle part dans la Chambre ni sur ses mobiliers. Quand j'avais 2 ans, j'ai gribouillé sur le pied de Monsieur Lit, celui qui est contre Petit Dressing, alors quand on fait le ménage, Maman tapote le gribouillis et dit : « Regarde, on doit vivre avec ça pour toujours. » Mais la taille, c'est pas pareil. Il y a des tout-tout petits chiffres à côté de Madame Porte, un 4 noir, un 3 noir et en dessous un 2 rouge qui était la couleur de Petit Stylo, avant, sauf qu'après il marchait plus. Et tout en bas, on voit un 1 rouge.
« Tiens-toi bien droit », dit maman. Le stylo me chatouille en haut de la tête.
Quand je m'écarte, il y a un 5 noir juste un peu au-dessus du 4. Le 5 c'est mon chiffre plus préféré parce que j'ai cinq doigts à chaque main et aussi aux pieds, comme Maman : on est pareils tout crachés.
Room d'Emma Donoghue - Éditions Stock - 400 pages
Traduit de l'anglais par Virginie Buhl
Commentaires
lundi 2 juillet 2012 à 11h42
Effectivement la lecture de ton billet et de l'extrait choisi laissent présager un roman passionnant! à garder pour un peu plus tard...
mardi 3 juillet 2012 à 10h33
Lu et adoré, mais je n'arrive pas à me coller à mon billet, tant ce roman m'a remuée...
mardi 3 juillet 2012 à 17h38
Très beau billet qui me donne envie de relire le livre aussi sec ! L'extrait m'a déconcerté par contre, par son style enfantin qui ne m'avait pas gênée quand j'avais lu le livre (en VO, d'où la différence de ressenti j'imagine. Par contre la traductrice a dû en baver un max. Je me souviens, lors de ma lecture, avoir pensé à la personne qui se collerait la traduction et je la plaignais d'avance :D)
Comme Liliba, j'avais été très remuée par ce roman. Je l'avais trouvé "lourd" à encaisser psychologiquement.
Kroustik et moi nous "disputons" à l'occasion sur l'opportunité de poursuivre le roman au-delà de la sortie et je rejoins tout à fait ton opinion. Un roman qui se terminerait par une évasion serait bancal (pour ne pas dire banal), aurait un goût d'inachevé : il lui manquerait une dimension qui, en outre, met en relief la première partie.
mercredi 4 juillet 2012 à 16h44
Très envie de découvir de roman, qui a l'air si intense. Ta note riche et enthousiaste achève de me convaincre !
jeudi 5 juillet 2012 à 06h28
Marimile & Céline : Contente d'avoir réussi à vous transmettre mon enthousiasme et pourtant j'ai bien eu du mal à rédiger ce billet car je voulais déflorer le moins possible l'intrigue, et du coup il n'était pas toujours évident d'explicité certaines des qualités de ce roman.
Liliba : oui, je vois tout à fait ce que tu veux dire
Flo : tout à fait d'accord avec toi ; si le roman s'était achevé sur la sortie, nous aurions été face à n'importe quel scénario hollywoodien et ce roman n'aurait alors eu de qualité que le style. Ce qui le distingue, c'est justement cette interrogation sur l'Après, sur ce qui unit cette femme et son enfant, sur ce qui les lie au reste du monde. Et comme tu le dis très bie, cela met en relief la première partie.