Le prologue, très austenien d'esprit et de forme reprend et résume l'histoire : comment une mère avisée peut-elle réussir  à caser cinq filles sans fortune ni espérances ? On sait ce qu'il advient de trois des cinq soeurs Bennet, Jane, Elizabeth et Lydia. P.D.James avance pour Mary et Kitty des solutions que Jane Austen aurait trouvées sans doute raisonnables.

Le décor étant posé, place au drame : la veille du grand bal annuel donné par les Darcy à Pemberley, la vie paisible et ordonnée du domaine et de ses habitants est bouleversée par un crime commis en ces lieux .

L'accusé ? Le séduisant Wickham en personne qui fait ici une réapparition d'autant plus remarquée qu'il avait disparu de l'horizon des Darcy au grand soulagement de ces derniers.

Tout le talent de P.D.James se déploie ici, dans une intrigue à rebondissements comme il se doit, mais le plaisir qu'on y prend est décuplé par l'approfondissement ou un éclairage nouveau de ce qui chez Jane Austen n'était qu'esquissé et se devinait entre les lignes.
Les personnages d'Orgueil et Préjugés apparaissent parfois sous un jour différent, d'autres font leur entrée, complétant le tableau de cette société provinciale, le monde de la justice, celui des serviteurs étroitement lié à celui des maîtres comme dans la série anglaise Downton Abbey.
Parfois, toute à son intrigue, P.D.James oublie un peu le ton caustique si typique d'Austen, mais elle se reprend vite et le lecteur a droit à des réflexions dignes de son illustre devancière.

Bref, un régal. Saluons cet hommage d'une grande dame des lettres anglaises à une écrivaine de génie.

Marimile

Extrait :

Il était de notoriété publique à Meryton que Miss Lizzie détestait Mr Darcy, un sentiment généralement partagé par les dames et les messieurs qui avaient assisté au premier bal auquel Mr Darcy avait accompagné Mr Bingley et les deux soeurs de celui-ci, et lors duquel il avait donné d'abondantes preuves de son orgueil et de son mépris arrogant pour la société, faisant clairement comprendre, malgré les encouragements de son ami Mr Bingley, qu'aucune jeune fille de l'assistance n'était digne d'être sa cavalière. De fait, lorsque Sir William Lucas lui avait présenté Elizabeth, Mr Darcy avait refusé de danser avec elle, déclarant ensuite à Mr Bingley qu'elle n'était pas assez jolie pour le tenter. On tenait pour admis qu'aucune femme ne saurait se féliciter de devenir Mrs Darcy car, comme l'avait fait remarquer Maria Lucas, « qui pourrait souhaiter prendre son petit-déjeuner pour le restant de ses jours devant visage aussi revêche ? »
Cependant, nul ne pouvait reprocher à Miss Elizabeth de s'être rangée à une opinion plus sage, et plus optimiste. On ne saurait tout avoir dans la vie, et n'importe quelle jeune femme de Meryton aurait supporté pire infortune qu'un visage revêche au petit-déjeuner pour épouser dix mille livres de rente par an et être la maîtresse de Pemberley. Les dames de Meryton, comme de juste, ne demandaient qu'à plaindre les affligés et à féliciter ceux à qui le destin souriait, mais il faut de la modération en tout, et la chance de Miss Elizabeth dépassait les bornes. Elle était plutôt jolie, toutes étaient prêtes à le reconnaître, et avait de beaux yeux, mais elle ne possédait rien d'autre qui la recommandât à un homme de dix mille livres de rente par an et il ne fallut pas longtemps avant qu'une coterie des commères les plus influentes ne parvînt à cette conclusion : Miss Lizzie avait décidé de mettre le grappin sur Mr Darcy dès leur première rencontre.

La mort s'invite à Pemberley
La mort s'invite à Pemberley de P.D. James - Éditions Fayard - 394 pages
traduit de l'anglais par Odile Demange