Pour presque tous ces témoignages, le plus flagrant est que le cinéma n'est pas sans lien avec la vie du spectateur. Surtout, la réception d'un film est fonction du moment où le spectateur le voit. De son état émotionnel à ce moment précis, de sa situation amoureuse, de sa santé, de sa fatigue. Pour chacun de ces spectateurs, les conditions de visionnage du film, largement décrites, sont primordiales.
Cette balade dans les biographies cinématographiques de ces spectateurs est très hétérogène, pour le plus grand plaisir du lecteur cinéphile. On plonge dans la Nuit américaine, de Truffaut, dans Douze hommes en colère ou Le dernier tango à Paris. De grands films, de grands réalisateurs (Alain Resnais, David Lynch) pour un voyage dans des intimités cinéphiles, entre grande œuvre et vie personnelle. Malheureusement, et c'est certainement le lot de beaucoup d'écrits de ce type, les récits sont tellement courts qu'ils sont vite oubliés. C'est vraisemblablement un ouvrage qu'un cinéphile ouvrira régulièrement, notamment à chaque fois qu'il verra un film dont il est question dans l'ouvrage.
Ce qui est troublant, c'est qu'on ne sait pas si ces témoignages sont fictifs ou documentaires. A aucun moment, Olivia Rosenthal ne donne la clé pour répondre à cette question. L'ouvrage peut donc se lire de plusieurs façons : soit un travail d'écriture assez intéressant, car il permet à l'auteur d'aborder des écritures très différentes soit un travail de transcription d'entretiens, qui donne à voir la multiplicité des façons d'aborder le cinéma et les films. Si l'ouverture de l'ouvrage avec Vertigo et la fermeture avec Les parapluies de Cherbourg (très beau passage) penchent clairement du premier côté, le reste de l'ouvrage est plus ambigu.
Extrait (Chapitre intitulé Rouge d'Anne-Sophie) :
Rouge, de Krzystof Kieslowski, commence par un appel téléphonique, la sonnerie retentit, on suit le trajet des câbles jusqu'au combiné d'Irène Jacob, l'actrice principale, ça se passe en 1994 avant les appareils sans fil et les mobiles, elle décroche, on se souvient mieux des images que de ses paroles.
Le cinéma est hanté par les machines d'époque, il est entièrement tributaire de la technologie et se démode à mesure que notre monde change.
La première fois que j'ai vu ce film, j'étais amoureuse d'un garçon, j'avais treize ans, ça a déclenché en moi une euphorie incroyable, ça a exalté mon expérience de spectatrice, pour le première fois j'étais sensible à la couleur, aux matières, tout à coup j'avais confiance en moi, je pouvais exprimer ce que je ressentais sans honte.
Ils ne sont pour rien dans mes larmes d'Olivia Rosenthal - Éditions Verticales - 120 pages
Commentaires
mercredi 18 juillet 2012 à 20h54
D'Olivia Ronsethal je connaissais "Que font les rennes après Noël". Original, sortant vraiment des sentiers battus. Et voilà un livre qui traite de tout autre chose : la passion pour le cinéma. Décidément cette auteure est à suivre ...
mercredi 18 juillet 2012 à 21h36
En lisant les remerciements de fin, on comprend que ce texte est bien un travail de transcriptions d'entretiens.
mercredi 18 juillet 2012 à 22h25
bonjour
ce livre j'avais eu la chance de le recevoir et le chroniquer avant sa sortie : http://www.baz-art.org/archives/201...
en fait, si dans le livre, il apparait clairement qu'il s'agit d'entretiens réalisés dans le cadre d'un atelier d'écriture, les articles lus ensuite dans la presse sont plus sybillins : visiblement l'auteur a un peu transformé le matériau de départ pour en faire une fiction...
samedi 4 août 2012 à 15h21
Merci à vous pour vos commentaires, liens et compléments.
Sur l'aspect trasncription/fiction, j'avoue que je me suis posé la question à la lecture du roman et que je n'ai pas forcément cherché à connaître la solution. Je pense que même si les expériences répertoriées ici sont celles de spectateurs lambda, le travail de réécriture est très important. Merci néanmoins de noter que le matériel de base sont des entretiens avec des habitants de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).