Dans la préface de ce roman noir, André Malraux annonce d'emblée la couleur. « Sanctuaire est donc un roman d'atmosphère policière sans policiers.»
Le roman est centré sur le personnage Temple Drake, jeune fille de bonne famille qui s'évade un soir de son collège avec un jeune homme ivre. Leur voiture s'échoue à proximité d'une vieille maison délabrée où l'on trafique de l'alcool. Temple se sortira pas indemne de cette cabane. Ensuite emportée par le mystérieux Popeye jusqu'à un bordel de Memphis. Un meurtre sera également commis. Bienvenus dans l'antre du mal.
L'auteur excelle à rendre l'atmosphère pleine de violence, de bassesse, de corruption. C'est diffus, persistant, poisseux. Il ne fait rien pour aider le lecteur à comprendre ce qui se passe dans cette maison perdue. Il y a bien Ruby, une ancienne prostituée en couple avec Lee Goodwin qui tente quelque chose. Elle essaie de faire comprendre à Temple les risques qu'elle court à rester dans cette maison isolée avec tous ces hommes ivres autour d'elle. Mais Temple ne comprend pas, ne veut pas comprendre. La jeune femme est-elle finalement aussi innocente, victime que cela ?
Et plus tard à Memphis, pourquoi Temple ne cherche pas à se sauver dès qu'elle en a l'occasion ? Quelle est donc la part de mal en chacun de nous ? Faulkner livre ici son interrogation sur l'homme, avant de l'élargir et de la faire porter sur la société tout entière. Surprenant portrait de l'être humain dans ses plus sombres replis. Difficile d'exprimer son empathie envers Temple et même les autres personnages. Entre les trafiquants d'alcools, les « rombières » de la bonne société du Sud, un avocat empêtré dans sa quête de la justice et ses relations avec les femmes. Dans tout ce noir, où trouver une petite lueur de Bien. Elle réside peut être dans l'étrange couple Goodwin. Tout cela est (presque) oppressant mais c'est magistral.
Si l’intrigue de ce roman est des plus simple, l'auteur de par son écriture en fait un véritable uppercut, une œuvre très sombre. Quelque chose de grandiose. En effet, W. Faulkner utilise tout du long des ellipses, de silences, d'actes commencés et brusquement interrompus. Une violence sourd, continuellement contenue, prête à exploser à tout moment.
Il ne donne à son lecteur aucun détail sur ses personnages, le contexte temporel situation où il les fait évoluer. Le lecteur est comme projeté sans ménagement dans une scène, une situation à un temps T. Au lecteur d'établir le contexte au fil des pages, le milieu social des personnages. Cela crée un grande tension, une intensité peu commune, un grand sentiment d'insécurité. Au lecteur de travailler, d'imaginer les liens. C'est véritablement l'écriture de l'instant, très cinématographique. Pas étonnant que de grands réalisateurs américains s'y soient intéressés.
Comme le dit encore A. Malraux, « Sanctuaire, c'est l’intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier. » Impossible de dire mieux ! Impossible d'en dire plus. A vous de découvrir.
Dédale
Du même auteur : le bruit et la fureur, Tandis que j'agonise
Extrait :
Penchée sur l'enfant, la femme méditait : « Personne ne lui avait demandé de venir là-bas. Lee leur a dit et redit qu'il ne fallait pas qu'ils amènent leurs femmes avec eux, et je lui ai dit, à elle, avant qu'il ne fasse noir, qu'on n'était point son genre de monde et qu'elle file de là. C'est ce type qui l'a amenée. Il était là-bas sur la galerie avec eux, toujours à boire, à preuve que, quand il est rentré pour la soupe, il ne pouvait déjà presque plus se tenir debout. Il n'avait même pas essayé d'enlevé le sang de sa figure. Parce que Lee se fiche de la loi, n'importe quel petit morveux se figure qu'il peut s’amener chez nous et prendre notre maison pour un... Les hommes faits ne valent pas chers, mais au moins pour eux acheter du whisky ou acheter n'importe quelle marchandise c'est tout un malheureusement il y a les petits gars comme lui, ceux qui sont trop jeunes pour se rendre compte qu'on ne viole pas la loi pour le plaisir. » Horace la voyait tordre sur ses genoux ses mains croisées. « Bon Dieu, si ça ne tenait qu'à moi, j'pendrais tous ceux qui en font, en boivent ou en achètent, oui, tous.
« Mais pourquoi moi, nous ? Qu'est-ce que je leur avait jamais donc fait à celles de son espèce ? Je lui avais dit de ne pas rester là. Je lui avais dit de ne pas rester là après la nuit. Mais le gars qui l'avait amenée, voilà-t-il pas qu'il s'est saoulé de nouveau, et puis lui et Van ils se sont mis à se chamailler. Si seulement elle s'était arrêtée de courir partout où ils pouvaient la voir. Mais elle ne pouvait rester en place nulle part. Voilà qu'elle fichait le camp par une porte, et, la minute d'après, elle revenait en courant de l'autre côté. »
Sanctuaire de William Faulkner - Éditions Folio - 376 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par R. N. Raimbault et Henri Delgove.
Commentaires
jeudi 19 juillet 2012 à 20h24
Un grand classique, un chef d'oeuvre, un roman intemporel : merci Dédale de nous rappeler ces classiques là pour l'été
jeudi 19 juillet 2012 à 20h31
De rien, Alice-Ange. J'aime bien me plonger ainsi dans de vrais Grand Classique. Mais il n'est pas toujours évident d'en "parler". Il y aurait encore tant de choses à relever. Dans le même temps, j'aime bien laisser la surprise, ne pas gâcher le plaisir de la découverte, voire même du Choc
vendredi 20 juillet 2012 à 23h59
Un classique que je n'ai malheureusement pas encore lu. Mais tu le fais revenir à ma mémoire, peut-être pour cet été ?
dimanche 22 juillet 2012 à 12h43
Pour cet été ou une autre saison, DeL, mais ce serait dommage de passer à côté
dimanche 22 juillet 2012 à 17h18
Chère Dédale, merci pour ta fringale de lectures et de partage qui te tourne tantôt vers des nouveautés, tantôt vers des auteurs confirmés. Cela fait un moment que je n'ai pas relu Sanctuaire : j'ai toujours été partagé entre intérêt et répulsion pour ce roman ou pour mieux dire j'éprouve tantôt l'un, tantôt l'autre. Tu en as été une excellente avocate, je n'en ferais pas meilleur éloge que le tien. Mais si je me souviens de mes doutes, j'écrirai - quitte à m'attirer les foudres de tous les bien-pensants - qu'on peut aussi trouver l'oeuvre prétentieuse, poseuse, invraisemblable, d'une lourdeur et d'une longueur excessives et finalement très démodée : non que l'auteur n'ait eu le droit de présenter une vision aussi sinistre de la nature humaine, mais parce que le désespoir a changé de forme de nos jours et que cela montrerait que son roman, loin de pouvoir traverser les époques, serait très largement daté. Mais je n'avance cela qu'aux amis et que les jours pairs, simplement pour dire qu'il faut être en forme pour entreprendre une telle lecture...
dimanche 22 juillet 2012 à 21h02
Merci Jnf, pour tes mots. Ils me touchent beaucoup

Je suis d'accord avec toi sur le fait qu'il faut vraiment être très en forme pour se plonger dans cette histoire, et dans cette écriture. J'ai aussi le sentiment que ce qui rend "l’œuvre prétentieuse, poseuse, invraisemblable, d'une lourdeur et d'une longueur excessives et finalement très démodée" n'est que le rendu de la société de l'époque, celle des Etats du Sud. Toute confite de ses valeurs détournées, de son quant à soi et/ou quant-dira-t-on, alors que les réalités sociales, humaines sont des plus sinistres quand on prend le temps de bien gratter la peinture. Selon moi, cela fait partie du portrait. Alors oui, dans ce sens-là, W. Faulkner est daté.
M'est avis que certains auteurs contemporains aimeraient bien être "datés" de cette aune de qualité, et ne pas être oubliés au bout d'un ou deux mois (et encore je suis gentille).
lundi 23 juillet 2012 à 09h50
Chère Dédale, aujourd'hui, jour impair, le ciel se découvre et je pense bien que tu as raison. Faulkner a écrit des pages décisives sur une certaine société... et rien que pour cela il est un très grand.
lundi 23 juillet 2012 à 09h59
Merci, Jnf, pour cet éclat de rire matinal
