Mais Julia est aussi devenue l’archiviste des explorations de son grand-oncle : elle passe ses journées à déchiffrer le journal de bord d’Edward Mackley, totalement imprégnée des lieux où ils habitent désormais avec Simon, entourée de tous les souvenirs de l’expédition arctique, en oubliant parfois le siècle auquel elle appartient.

Le journal d’Edward Mackley raconte les conditions de son expédition à bord de La Perséphone : le navire, pris par les glaces, oblige les explorateurs à chercher à gagner le Pôle Nord avec leur traîneau et avec les chiens, ou en kayak.
L’auteur décrit le blanc universel, la lumière permanente et son absence, et nous livre de superbes pages de description d’un univers tout de glace. Mais bientôt les vivres vont manquer…

L'éclat du soleil est tel que tout paraît flotter dans un halo de poussière étincelant, à croire que cette petite poche de temps qui a l'air de vivre à la cadence du tic-tac de l'horloge a été suspendue plusieurs décennies auparavant et que les aiguilles qui avancent sur le cadran ne sont qu'une illusion, comptant et recomptant toujours les mêmes heures.

Amy Sackville entrelace les deux périodes. Le couple Julia / Simon se cherche, un peu comme le couple Emily / Edward : les deux amants ont à peine eu le temps de se connaître et de se marier avant le départ d’Edward pour sa grande exploration : Emily a passé une cinquantaine d’années sans nouvelles de son mari, mais toujours dans l’espoir indéfectible de le voir revenir. Jusqu’à ce qu’on retrouve la dépouille de l’explorateur prise dans la glace, congelée avec son journal et la photo de sa femme.

Les deux histoires d’amour s’entremêlent, dans une interaction permanente entre passé et présent. Il y a une voix qui remplace le narrateur manquant, et qui tisse les liens entre les deux récits, prenant souvent le lecteur à témoin. Et qui va nous conduire, grâce au témoignage d’un lointain cousin, à un surprenant secret de famille qui bouscule l’image que Julia se fait d’Emily…

L’écriture est très réussie. L’introduction notamment, très écrite, a été remarquée et saluée par la critique. "Amy Sackville manie le langage comme une baguette magique", déclare The New York Times. Il n’y a guère que le titre français qui me dérange. « Là est la danse » - pour, en anglais, un titre beaucoup plus éloquent : « The Still Point » [le Point Silencieux ].

Cet ouvrage est aussi l’occasion de découvrir une nouvelle maison d’édition, Les Escales, qui prévoit, à partir de janvier, une quinzaine de haltes cette année. Cette maison privilégie la grande fresque, un mélange d’espaces ou de destins d’une part, et de genre noir, d’autre part.

Alice-Ange

Extrait :

Plusieurs heures s’écoulent sans qu’il ne se passe quoi que ce soit. Ils bougent un peu. Le jour naissant ne va pas tarder à s’annoncer  patience. Nous les observateurs à un moment qui en général nous échappe, au cœur de la nuit, avant que ne menace l’aurore – ce laps de temps où, si nous nous réveillons, nous ne savons pas si nous avons le droit de nous rendormir ou si nous serons incessamment secoués par ce qui signale le début de la journée : des notes de musique ou le bip perçant du réveil, un oiseau assidu à la fenêtre, un amoureux, la peur.
Vous pouvez vous rapprocher un peu, à condition de ne pas faire de bruit. Mettez votre visage près de celui du dormeur, assez près pour sentir le doux son rocailleux et la puanteur de son haleine ; sentez sur votre joue la chaleur moite du souffle de la dormeuse. Ils s’endorment, comme beaucoup de couples, d’abord enlacés puis détachés l’un de l’autre. A l’instant où nous nous joignons à eux, il y a déjà longtemps qu’ils ont accompli ce dernier geste inconscient, cette délicate séparation à l’orée du rêve.

Là où est la danse
Là où est la danse de Amy Sackville - Éditions Les Escales - 365 pages
Traduit de l'anglais par Isabelle Chapman.