Maravan rêve depuis sa plus petite enfance de devenir un grand cuisinier. Mais son statut d’immigré tamoul le contraint à un simple emploi de commis malgré ses compétences incontestables. Dénigré, moqué des autres salariés du restaurant où il travaille, il réussit l'exploit d'inviter chez lui pour un dîner, la belle et sauvage Andrea. Ce soir-là, il lui servira un menu un peu particulier : des recettes ayuvédiques aphrodisiaques héritées de sa grand tante restée au pays, mais revisitées à la façon cuisine moléculaire. Est-ce l'agitation des molécules qui a décuplé les effets du repas ? Andrea, qui n'avait pourtant aucune attirance pour Maravan, passe la nuit chez lui.

La jeune femme comprend alors très vite quels profits Maravan et elle pourraient en tirer. C'est ainsi que nait l'entreprise Love Food, pour venir en aide aux couples à la dérive. Mais bien sûr, d'autre clients vont bientôt s'intéresser à cette étrange cuisine.

De ce point de départ, Martin Suter dévide sa pelote, et bien évidemment, cette histoire est surtout un prétexte pour nous parler de sujets plus sérieux, à commencer par la situation des Tamouls en Suisse et au Sri Lanka. On découvre l'histoire de Maravan, de sa communauté, des trafics, du poids des traditions et de sa famille restée au pays. Mais si la guerre persiste au Sri Lanka c'est aussi parce que des entreprises occidentales fournissent les armes aux différentes factions. Martin Suter s'intéresse ici au trafic d'armes sur fond de crise financière (l'action se déroule en 2008). Le pauvre Maravan, tiraillé entre ses croyances et la nécessité de venir en aide aux siens, devra faire des choix. Toute la question étant de savoir s'il ne se trompe pas de moyen.

On retrouve alors cette façon si particulière dont Martin Suter parvient à donner à chacune de ses intrigues une tonalité policière, même si elle est ici plus ténue que dans les autres romans que j'aie lu de cet auteur.

Mais ce que je retiendrai avant tout de cette histoire c'est l'extrême sensualité de la cuisine de Maravan. Dès que Martin Suter nous décrit les préparations des repas, on ne peut s'empêcher de saliver et de respirer les odeurs d'épices qui s'échappent des pages. Et pourtant, en optant pour la cuisine moléculaire, on ne peut pas dire que l'auteur ait choisi la facilité. Technicité, appareils étranges et vocabulaire parfois sibyllins auraient pu être un frein à la fluidité de l'écriture. Non seulement il n'en ait rien, mais ce côté un peu mystérieux, un peu extra-ordinaire, ajoute du piment à l'ensemble.

Du même auteur : Small Word, Un ami parfait, Allmen et les libellules, Business Class

Laurence

Extrait :

Le soir même, il se mit au travail. Il détacha les petits grains des panicules de poivre long, dénoyauta des piments séchés du Cachemire, dosa des grains de poivre noir, des graines de cardamone, de cumin, de fenouil, de fenugrec, de coriandre et de moutarde, éplucha des racines de curcuma, brisa des tiges de cannelle et fit frire le tout dans la poêle de fer, jusqu'à ce que tout le parfum se soit déployé. Il mélangea les épices en différentes combinaisons soigneusement dosées et les pila en poudres fines qu'il utilisa la nuit-même ou conserva jusqu'au lendemain, dans des bocaux étanches et étiquetés.

Le Cuisinier
Le cuisinier
de Martin Suter - Éditions Points  - 337 pages
Traduit de l'allemand (Suisse) par Olivier Mannoni