Le voilà redevenu ce gamin joueur mais studieux, à l’imagination dévorante pour qui passer les 2 mois des vacances d’été chez sa grand-mère à Bruges était la suprême récompense après une année scolaire réussie.

Avec infiniment de délicatesse et d’amour il nous dresse le portrait de Thérèse-Augustine, qui ne pardonna jamais à son père de l’avoir retirée de l’école à l’âge de douze ans et de l’avoir ainsi privée de tout le savoir qui s’y apprend au prétexte qu’elle n’était que la fille aînée et qu’il fallait s’occuper d’abord des garçons (nous sommes à la fin du 19ième siècle ! ).

Tel un peintre, touche après touche, une couleur puis une autre, Thérèse–Augustine nous apparaît fidèlement croquée par son petit-fils arrivé lui aussi dans la fleur de l’âge.

Imaginez la « glorieusement perchée sur un tabouret entre les capucines du perron à encorbellement de sa maison de Bruges » sonnant « de l’olifant en son honneur » lors de son dixième anniversaire.

Imaginez les tous les deux partir à la découverte de Bruges, guide touristique en main ! Nous sommes dans les années 1930, ne l’oubliez pas.

Pouvez-vous entrevoir la place qu’occupait le Nouveau Petit Larousse illustré chez Thérèse-Augustine ? « Le volume à l’aigrette de pissenlit semée au vent représentait pour ma grand-mère une manière d’oracle qui était censé avoir réponse à tout. Elle entretenait avec lui les rapports de déférence précautionneuse qui unissent une dévote à son missel, et elle savourait le texte de ses définitions comme autant de friandises ».

Eh ! J’allais oublier de vous parler de Charles et Thérèse-Augustine partant de bon matin à bicyclette par de petites routes pour aller voir la mer ! Laissez vos souvenirs vous envahir.

Que dire de plus si ce n’est que ce texte se savoure comme un « berlingot de pâte d’amandes ».

Véritable hymne à cette grand-mère adorée et chant d’amour pour Bruges, à savourer sans restriction.

Sylvaine

Extrait :

L’enchantement commençait dès l’entrée du clos dans une rue voisine de la chaussée de Ghistelles : la grille ouvrait sur une allée bordée de haies assez hautes que jalonnaient une série d’ogives de verdure bâties sur un treillage dont l’armature avait disparue depuis longtemps sous la végétation. Au fil du temps, les ramures avaient tressées des passerelles de feuillage entre les arcades jusqu’à composer sur une vingtaine de mètres une charmille unique arrondie en berceau. Ce véritable tunnel de feuillée qui serpentait en flânant entre les jardins se divisait en plusieurs sentiers qui conduisaient aux maisons encore invisibles dans la masse des arbres : celle de mes grands-parents était la dernière. J’ai passé bien des heures heureuses dans ce déambulatoire de verdure dont j’étais la plupart du temps l’hôte unique si j’excepte le chat de nos plus proches voisins. Quand il faisait soleil, il y régnait, même au plus fort du jour, une pénombre dorée dont la paix claustrale me ravissait et m’inquiétait un peu. L’irréalité de la lumière poudreuse qui jouait à travers les feuilles, ce silence d’eau profonde où j’avais l’impression de me haler comme un plongeur, et jusqu’à la légère oppression que suscitait dans mon esprit la luxuriance d’une végétation qui paraissait capable de submerger toute autre vie que la mienne, contribuaient à me persuader qu’à quelques mètres de la chaussée le monde des hommes était aboli.

La petite dame en son jardin de Bruges
La petite dame en son jardin de Bruges de Charles Bertin - Éditions de Actes Sud - 133 pages