Au premier jour (Des murs et des pierres) la visite commence par la Piazza dei Cinquecento avec L'ombre de Pasolini de Nicoletta Vallorani. Dans cette nouvelle, un homme parcourt la ville en pleine nuit à la recherche de compagnie, mais ce sont les fantômes qui l'attendent au tournant.
Partons ensuite pour le Colisée, au côté d'Antonio Scurati pour la Rome éternelle, nouvelle délicieusement étrange. Depuis quelques jours, les touristes du Colisée sont atteints d'hallucinations inquiétantes. Ils revoient dans les moindres détails des scènes qui se sont déroulées dans la Rome Antique. Mais pourquoi seuls les ressortissants américains sont-ils victimes de cet étrange mal ?
À l'angle de la via Veneto, nous retrouvons Tommaso Pincio avec Melting Spot, la nouvelle qui a donné naissance à son roman Cinecittà : mémoire de mon crime atroce. Rome l'éternelle est aujourd'hui entièrement sous le joug des asiatiques. Si la plupart des Romains ont déserté, le narrateur ne peut s'y résoudre et tente de survivre en milieu hostile.
Et puisque cette première partie s'ouvrait sur l'ombre de Pasolini, c'est encore avec le destin tragique du cinéaste que se termine ce premier jour de visite, sur la plage d'Ostie. Le narrateur du Dernier été ensemble (Christiana Danila Formetta), ne peut échapper aux fantômes qui le hantent, depuis ce fameux été où il a offert un coca-cola à un trop jeune garçon.

Le deuxième jour de visite, intitulé Sur les traces des César commence à l'aéroport de Fiumicino (Ne pas parler au passager de Diego de Silva) pour une course en taxi pour le moins instructive ;
il se poursuit à la Villa Borghese (Vacances romaines d'Enrico Franceschini) où l'on suit l'histoire d'amour illégitime d'une belle italienne et d'un riche américain.
À la  Stazione Tiburtina, Francesca Mazzacuto nous offre un très beau texte, à construction machiavélique, Tirbutina Noir Blues, un dialogue de femmes que tout oppose mais qui devront s'unir pour le besoin de la cause.
Enfin, dernière étape à la via Marco Aurelio (Mots, pensées de Marcello Fois) où l'on retrouve le commissaire sarde Curreli (personnage récurrent de Marco Aurelio), appelé en renfort suite à un crime atroce et qui se retrouve confronté au mutisme de la principale suspecte : une adolescente à qui l'on donnerait l'absolution.

Au troisième jour de visite (Des pâtes, du vin et des flingues), il nous reste encore quelques lieux emblématiques à visiter : La stazione Termini (Les veilles de Noël de Gianrico Carofiglio), le Vicolo del Bologna (Mephisto du grand Carlo Lucarelli), Calcata (Avec mes meilleurs souvenirs de Maxim Jakubowski), et la Via Ascoli Piceno (Mangés vivants d'Evelina Santagelo). Si j'ai aimé l'humour de Lucarelli, j'ai été moins touchée par la première et troisième nouvelle. De cette partie, je retiendrai surtout la plume incisive d'Evelina Santagelo qui ré-interprete les conflits inter-générationnels et le coût de l'immobilier dans la capitale romaine. Une façon originale de rentrer dans ses frais.

Si vous épuisés à l'aube du quatrième jour, offrez vous la Dolce Vita et reposez-vous dans le quartier de Pigneto au côté d'Antonio Pascale. Et pour quelques jetons d'or de plus, vous pourrez alors profiter de l'arnaque la plus bancale de l'histoire romaine.
À Tangenziale, si le Silence est d'or, Boosta a une étrange façon de ré-interpréter la maxime et vous réserve quelques sueurs froides...
Il ne vous restera alors que deux étapes pour conclure cette escapade : la première à Montecitorio (Caput mundi de Giuseppe Genna) et à la Via Appia Antica (1988 de Nicola Lagioia) pour un final en apothéose.

Voilà une agréable façon de découvrir ou redécouvrir une ville. Je connaissais la collection et avais déjà chroniqué ici l'ouvrage consacré à Paris. Si à l'époque j'avais été un peu déçue par le manque d'unité dans la qualité des textes, j'ai été cette fois agréablement surprise. Non pas que toutes les nouvelles m'aient enthousiasmée, et il y en a bien deux ou trois pour lesquelles je suis restée de marbre. Mais il y a aussi de petits bijoux de la littérature noire qui devraient contenter les amateurs et les néophytes. Cet ouvrage est aussi une bonne introduction à la littérature noire italienne actuelle, puisque la production de la plupart des auteurs présents dans ce recueil est disponible en français. De quoi prolonger le plaisir une fois l'ouvrage refermé.

Laurence

Extrait de l'Ombre de Pasolini (Nicoletta Vallorni) :

Les Romains ont construit des routes. Moi qui suis étranger, je les traverse. Je cherche un sentiment de familiarité que je ne trouverai pas, je le sais déjà, mais le chercher me suffit : c'est un mouvement non codifié, une course les yeux grands ouverts. Rome est un corps dont je connais les jambes fortes et les pieds sales, les mains promptes à vous faire les poches, le sexe soudoyé, les cheveux souples et noirs, les muscles qui frétillent, l'haleine qui sent la fumée de cigarette et la liqueur bon marché.
Les route. Les maisons comme les personne ont, dans cette Rome, une noblesse poussiéreuse, qui se donne au temps sans compter. Et celui-ci, silencieux, transforme les briques en poussière, sculpte les pavés, effleure les corps de la caresse légère et profonde dont je voudrais donner ou recevoir.

Rome noir
Rome noir
présenté par Chiara Stangalino & Maxim Jakubowski - Éditions Asphalte  - 244 pages
Traduit de l'italien par Sarah Guilmault