Et puis il y a Eeva la mystérieuse, qui apparaît dès le début en rêve à Martti, comme un fantôme énigmatique et souriant, et qu’Anna n’aura de cesse de traquer, révélant ainsi un secret de famille bien gardé. L’auteure sait à merveille construire son roman en laissant s’installer une attente, mettant en lumière chapitre après chapitre les principaux personnages d’une histoire apparemment banale, mais au final assez dérangeante.

Dans un style très particulier, où le temps et la chronologie sont bousculés, R.Pulkkinen raconte avec une égale justesse de ton l’enfance, les émois amoureux, la vieillesse, la maladie et la mort, les rapports complexes entre les êtres. Elle fait aussi une large part à la peinture et à la nature finlandaises, éléments essentiels de la vie des personnages, et sans doute de la culture de leur pays. Le lecteur est souvent déstabilisé par des images fortes, surgissant d’une situation anodine : " Le rêve flottait au-dessus de lui. C’était une couverture tressée de temps. " Le traitement du temps, justement, qui tantôt s’étire, tantôt se précipite, revient en arrière ou anticipe le futur, contribue aussi fortement à cet effet déstabilisant.

Bref, un roman dépaysant, maîtrise, que j’ai aimé, mais qui m’a laissé un sentiment de perplexité longtemps après avoir refermé le livre.

Marimile

Extrait :

Ils démontèrent le plancher du sauna entièrement. Anna voulut récupérer les vieux journaux, étala toute la fin des années soixante sur le ponton, disposa des pierres sur les feuilles en guise de presse-papier, passa la moitié de la journée à étudier les pages, assise le dos courbé comme si elle étudiait des plantes rares au microscope.
Plus tard elle vint à la porte, les autres étaient déjà partis manger, Martti jetait encore les dernières planches sur la pile.
- Cet incendie, il a pris d’un coup ? demanda-t-elle.
- Sans doute, répondit-il. Ça s’est embrasé.
La jeune fille balançait ses poignets, passait d’une jambe sur l’autre. Elle portait des baskets et des jeans, un sweat à capuche qui aurait pu convenir à une gamine de douze ans. Elle était peut-être plus sage, plus attentive qu’il n’aurait pensé. Les enfants changent imperceptiblement. Ils commencent par avoir un ou deux ans, puis cinq. Ils galopent à travers la cour, des brassards ceignant leurs bras minces. Tout a déjà commencé, ils ont déjà commencé à comprendre quelque chose au monde. Les années passent, les enfants revêtent d’autres habits, trouvent de nouvelles expressions, amassent leur savoir en secret et le portent en silence.

L'armoire des robes oubliées
L'armoire des robes oubliées de Rikka Pulkkinen - Éditions Albin Michel - 398 pages
traduit du finlandais par Claire Saint Germain.