Ce coffret de mémoires d'un proscrit sous les Bourbons ont été publiés la première fois en 1835 pour tomber ensuite dans le silence. Les voici de retour grâce au travail de présentation et d'annotation de Laurent Nagy et son équipe. On n'oublie pas non plus l'éditeur spécialiste de tels défis. Cet ouvrage est plus qu'un récit d'une tranche de l'Histoire. C'est un remarquable témoignage d'une époque, de la naissance de l'idée politique de l'Europe. Une lecture fort intéressante qui aide grandement à comprendre les soubresauts que l'Occident connaît encore de nos jours.

Le tome I (1812-1815 donne les Récits des derniers temps de l'Empire par un général de Napoléon. Quant au tome II (1816-1835), il est titré : un général de la Grande Armée et les révolutions européennes.
N'étant pas spécialiste des stratégies militaires, d'histoires de révolutions dans les différents pays de l'Europe, je vais me contenter de vous présenter en grandes lignes les aventures de ce fameux Général de la Grande Armée.

Né à Vienne en 1772 (il s'éteint en 1845), ancien officier de la République française et général d'Empire en Italie, prisonnier deux ans en Russie, Guillaume de Vaudoncourt maîtrise le français, l'allemand, l'italien. Du point de vue linguistique, c'est un vrai européen ! Il l'est tout autant dans ses convictions politiques et ses présences sur les plus importants champs de batailles de l'époque (Fleurus, Valmy, Marengo, Wagram… etc). C'est un gradé respecté et reconnu par ses pairs gradés ou ses hommes de troupe qu'ils soient français ou étrangers. Même ses adversaires dans la Coalition (Angleterre, Autriche, Prusse, Russie) lui reconnaissent bien des talents, un esprit intelligent et droit.

Constamment tiraillé entre ses idées patriotiques, ses devoirs militaires et sa conscience de soldat-citoyen, il aspire néanmoins à l'avènement d'un pouvoir partagé et choisi par tous. S'il a été fasciné par l'homme (Napoléon), ses dérives impériales lui ont toujours été difficilement acceptables. Dans le camp des monarchistes, il est forcément un adversaire. Condamné à mort par contumace pour son action à Metz durant les Cent-jours, la sanction est remplacée par l'exil et la proscription ; il errera avec sa jeune épouse Henriette, durant dix ans, dans toute l'Europe pour échapper aux manœuvres des pro-Restauration qui font tout pour l’éliminer.

Il n'a pas de mots assez durs pour qualifier « la tourbe abjecte des courtisans, cette lie infecte des nations, qui, dans tous les temps et tous les lieux, est toujours prête à toutes les bassesses, voire tous les crimes. » Idem pour les incapables et les traites à leur pays.

Ses passions : la lecture et l'écriture. Il écrit plusieurs ouvrages historiques, politiques, des ouvrages militaires (avec ou sans cartes de sa main), quelques écrit sur l'épopée impériale. Il est également propagandiste de talent. Tous ses écrits font parties de ceux qui font encore référence.

En plus d'être un militaire reconnu par ses pairs et ses hommes, F. Guillaume est franc-maçon. Il s'est souvent servi de ce réseau et à ses nombreuses connaissances en tous pays et milieux, pour obtenir quelques informations pour ses travaux littéraires. En plus de sa bonne connaissance des choses militaires, d'un sens aiguë des enjeux politique, il a suffisamment de recul pour appréhender les manœuvres des pays de la Coalition. Tous contre un seul homme, Napoléon. Puis, tous pour maintenir les Bourbons en France, car si faciles à manipuler. Tous contre l'idée de pays souverains.

Simple spectateur des autres, mais dans une position qui m'a permis de tout savoir et de juger les moteurs des événements, je crois être en état d'en donner un récit fidèle et impartial.

Ces mémoires sont un magnifique récit d'une période mouvementée de l'Histoire de l'Europe. C'est également le portrait d'un homme d'une trempe comme il semble que l'on n'en fait plus. Ces hommes respectueux de certaines valeurs, capables de tout tenter pour les préserver et toujours droits dans leurs bottes, solides dans leurs étriers, quel que soit le prix à payer.

Selon lui, « toutes ses avanies proviennent de ses vertus civiques, de son incapacité à sacrifier ses principes pour complaire aux puissants. »

Le but de ses mémoires : « dévoiler la vérité partout où je le pourrai. Il y aura peut-être dans ce récit quelques leçons utiles pour ceux qui pourraient encore être dupés par les sycophantes de liberté et les escamoteurs de révolutions. »

Car en plus de vouloir défendre les principes de la révolution française, le général a encore œuvré, surtout dans la période 1816-1834 en Italie et en Espagne pour que les peuples deviennent véritablement libres et souverains.

Je me suis régalée avec cette lecture. Que d'aventures aux quatre coins de l'Europe ! Moi qui ne suis pas très portée sur la chose militaire et ni spécialiste de cette période de l'Histoire, j'ai appris énormément de choses. C'est surtout le magnifique résultat de l'art de l'écriture (quelle langue ! ) et de la pédagogie de Mr Frédéric Guillaume de Vaudoncourt. Cet homme sait ménager ses effets pour rendre alertes, vivantes, captivantes ses mémoires grâce à de savants dosages d’anecdotes personnelles, militaires et politiques. C'est digne d'un grand homme de lettres : mêler la petite histoire à la grande comme si nous y étions.

Du grand art !

Dédale

Extrait :

Dans les premières ouvertures qui avaient été faites à Francfort, il avait été question de donner la régence de l'empire français à l'archiduc Charles, et d'introduire en France une armée de cinquante mille Autrichiens qui devaient ramener Napoléon II. Cette condition avait été acceptée, probablement par découragement et par ennui de l'exil ; je le savais, et on m'en avait prévenu ; mais j'étais bien résolu à l'écarter, et je m'étais plus particulièrement chargé de la mission qu'on m'avait donnée, dans l'intention de rompre tout plutôt que de consentir à une humiliation pareille. Il ne s'agissait pour moi qui de la cour de Napoléon, ni des dignités qui pouvaient m'y attendre. Je n'ai jamais cherché à ramper dans une cour, pas même dans celle de mon ancien général en chef. Quant aux dignités, mes talents, mes services et mon patriotisme m'en avaient déjà fait occuper, et m'en feraient occuper d'autres dont je n'aurais pas à rougir en les achetant au prix de l'infamie. Mon seul but était de sortir ma patrie de l'avilissement, en la délivrant de la domination d'une famille devenue tout à fait antipathique, qui ne comprenait ni la nation, ni son siècle, et qui ne pouvait que consommer le malheur et la dégradation de la France.
Je n'étais pas assez aveugle pour méconnaître la tendance républicaine qui commençait à germer en Europe ; je la partageais assez pour bien la comprendre. Elle est le seul fruit de la propagation des lumières, et l'état le plus naturel de la société éclairée ; elle est le produit de la marche même des gouvernements qui tendent partout à désabuser les moins clairvoyants ; elle n'a pas besoin de conspiration pour se développer, car elle naît de la persuasion, et la conviction qui en résulte est irrésistible dans sa marche et ses effets ; mais je n'ignorais pas non plus que le nom de république épouvantait encore la masse vulgaire qui s’attache aux noms et leur sacrifie les choses. A ce nom de république on accolait le sang versé en 1793. Les émigrés, dont les trahisons et les conspirations, sans cesses renouvelées, avaient été l'unique cause pour laquelle il avait fallu le verser, régnaient en France. Les jongleurs politiques qui avaient favorisé la Restauration et l'avaient masquée sous un travestissement quasi-libéral, criaient encore plus ; dans leur intérêt personnel, il faut convenir qu'ils avaient raison. Le peuple, effarouché par leurs clameurs, et composé d'une génération dont la grande majorité n'avait pas, en 1793, atteint l'âge de la réflexion, tremblait à la seule idée d'un spectre inconnu qu'on lu présentait sous les formes les plus hideuses.

Mémoires d'un proscrit
Mémoires d'un proscrit de Frédéric Guillaume de Vaudoncourt - Éditions La Louve - 416 pages chaque tome.
Tome I - Récit des derniers temps de l'Empire par un général de Napoléon.
Tome II - Un général de la Grande Armée et les révolutions européennes.