Car nos jeunes héroïnes ne font pas dans l'élégance. Chez moi, on les qualifierait de cagoles : des vêtements moulants et voyants, une façon de s'exprimer qui tient un peu de la poissonnière, une consommation d'alcool assez impressionnante et continue. Bref, de quoi interpeller le pauvre voyageur de passage. Après une première nuit assez mouvementée, nos 6 copines s’apprêtent à embarquer pour l'île de Majorque quand Manda réalise qu'elle a perdu son passeport. Les voilà donc toutes obligées de faire une croix sur leur destination et de reporter leur départ au lendemain (du moins le pensent-elles).

Toute la saveur de ce récit tient dans les portraits au vitriol de ces 6 jeunes femmes. De galères en galères, de bars en bars, de gaffes en bourdes, elles se révèlent au cours de cette escale contrainte à l'aéroport. Ce sont de véritables pestes et pourtant, Alan Warner réussit à les rendre attachantes. Même Manda qui est la pire de toutes.
Les dialogues, souvent féroces, s'enchaînent sur un rythme rapide et ont provoqué chez moi plus d'un éclat de rire. Il faut d'ailleurs souligner ici le travail de traduction de Catherine Richard sur la retranscription des accents (écossais et anglais) qui participent pleinement à la saveur des échanges.

Mais au-delà de la caricature d'une génération, Alan Warner revisite la thématique du huis-clos de façon amusante et surprenante. En coinçant ses héroïnes dans cet espace de transition, dans ce non-lieu, il les force à s'interroger sur leur devenir et leur rapport au monde. Il y a ainsi des scissions dans le clan : d'un côté celles qui sont restées vivre dans leur petit bled écossais avec de petits boulots et les éternelles beuveries du samedi soir ; de l'autre, Finn, Kay et Ava qui font des études universitaires. Ava, qui cumule les tares puisqu'en plus d'être étudiante, elle est issue d'une riche famille anglaise, ce qui lui vaut bien sûr nombre de remarques insidieuses. Mais l'on se rendra compte qu'Ava n'est pas forcément celle que l'on croyait.
Les mésaventures de nos commères sont donc l'occasion de traiter de sujets plus sérieux et Alan Warner dresse entre autres un état des lieux des tensions qui peuvent exister entre écossais et anglais.

Les étoiles dans le ciel radieux fait partie des lectures qui m'ont enthousiasmée cet été et je tiens notamment à souligner l'intelligence du dénouement qui est aussi inattendu que bien trouvé.

Laurence

Extrait :

« Qu'est-ce qui se passe ? demanda Finn.
- Manda trouve pas son passeport.
- Tu l'avais hier soir, au bar, quand tu m'as montré les photos du petit gars Sean. Je l'ai vu.
- Oui. Moi aussi je l'ai vu. Tu l'avais dans ton portefeuille, renchérit Ava.
- Je sais. Je sais. Mon portefeuille est là, en sécurité. C'est là que je mets toujours mon passeport. Mais il est pas dedans. Pourtant. Oh, je m'en veux.
- Te tracasse pas, Manda. On va le retrouver.
- Elle l'avait hier soir, c'est sûr, affirma Finn.
- Et dans tes valises ?
- C'est ce que je lui ai dit.
- J'irais pas le mettre dans ma valise. Mon fric est dans ma botte. C'est là que je mets mes billets. Ils finissent un peu humides, des fois. » Elle tapa très fort du pied.
« Son passeport est pas dans sa botte. J'ai demandé.
- Je le sentirais s'il y était. Y a juste mon petit peu de liquide.
- Écoutez, dit Finn. On va aller dans un café ou je ne sais pas quoi où on pourra toutes s'asseoir pendant que Manda regardera dans ses affaires.
- On pourrait peut-être aller chez MacDo. Je crève la dalle.
- On va dans un pub ? » Manda s'éclaira instantanément en posant la question.
« Mais attendez. » Chell baissa les yeux pour inspecter sa propre tenue.
Tout le monde se tourna vers Chell et la regarda.
« Euh. Si on doit pas prendre l'avion, je préférerais avoir pas mis le survêt et les baskets. (Elle montrait du doigt son pantalon molletonné et ses chaussures de sport.) Je pourrais peut-être me changer ? »
Kylah s'anima aussitôt. « Ouais. T'as raison. Si on part pas, je voudrais bien remettre une tenue correcte. Si Manda peut pas venir, va falloir que je sorte ma jupe Topshop de ma valoche des fois que… »
Manda éclata en larme comme si elle éternuait.

Les étoiles dans le ciel radieux
Les étoiles dans le ciel radieux
de Alan Warner - Éditions Bourgois  - 534 pages
Traduit de l'écossais par Catherine Richard