Le roman est d’entrée placé sous le signe de cette maladie qu’il ne peut oublier et qui occupe une majorité de ses pensées. Car elle le fait souffrir de plus en plus,

Je bataille pour marcher, pour parler, pour écrire, pour mouvoir des muscles qui m’écharpent à tout moment

Mais la maladie bouche son horizon professionnel et affectif.

je ne vois plus les sourires de mes enfants, ni les tendres regards de celle que j’aime

Ce récit est l’histoire d’une déchéance annoncée, physique et morale. Alors, forcément, le ton est pessimiste, morbide, mais Guillaume de Fonclare refuse l’abattement. Il continue à espérer, pour sa femme, pour ses deux enfants cités dans le texte et à qui il rend hommage, ou pour ses collègues de l’Historial.

Même s’il éprouve des difficultés croissantes dans son métier, au point de parfois devoir quitter précipitamment son bureau à cause de la douleur, il attache beaucoup d’importance à son activité. On sent que le jour où il sera remplacé, ce sera pour lui la fin d’un lien important avec la vie active. Le récit est d’ailleurs parsemé de références à la Grande Guerre, avec des anecdotes ou des informations historiques. Ainsi, il se souvient du jour où il a rencontré des vétérans australiens, et de cette discussion sur un coin de trottoir avec l’un d’entre eux, en hommage à son ami resté dans les tranchées.

Il raconte également sa visite dans quelques cimetières militaires. Il se souvient plus particulièrement de l’un d’entre eux, le Railway Hollow Cemetery, où les soldats britanniques enterrés venaient presque tous du même village et où il souhaite se rendre avant qu’il ne soit trop tard. Ce fut également pour moi l’occasion d’apprendre que chaque pays traite de manière différente les corps retrouvés sur les champs de bataille. Pour les français, le corps est renvoyé dans son village s’il est identifié, envoyé à l’ossuaire sinon. Pour les allemands, la question de l’identification ne se pose pas, et c’est direction l’ossuaire directement. Les anglo-saxons ont une approche différente : les corps restent à l’endroit où ils ont été trouvés, identifiés ou non. Ce qui explique le nombre important de cimetières britanniques dans la Somme, autour de Péronne, ou dans les Flandres.

Le fait de côtoyer l’histoire de ces soldats, considérés comme de la chair à canon, est un moyen pour Guillaume de Fonclare de relativiser sa situation d’infirme en devenir. Les images des gueules cassées ou des estropiés sont pour lui habituelles. Mais cela ne suffit pas à lui faire oublier la douleur, vive, permanente, qui secoue son corps et le marque. C’est un récit dense et intense que livre l’auteur sur sa maladie, sa confrontation avec elle au quotidien et ses angoisses, naturellement compréhensibles.

Yohan

Extrait :

Il y a plus d’un monde entre eux et nous. Cette guerre, si moderne et tellement archaïque, est celle d’un autre siècle. Nous ne comprenons plus les raisons qui poussaient ces hommes à repartir encore, à sortir d’une tranchée pour parcourir les quelques dizaines de mètres qui menaient, sous un déluge de feu et d’acier, à celle d’en face. Non, nous ne sommes plus du même monde. Et il ne peut y avoir de devoir de Mémoire puisque nous ne nous souvenons plus, puisqu’il est impossible de se remémorer ce qui est inconcevable. Alors, il nous faut enseigner, éduquer, et s’obliger à un devoir d’histoire.

Dans ma peau
Dans ma peau de Guillaume de Fonclare - Éditions Stock - 120 pages