Tout juste installé dans la grande Jérusalem, il compte participer aux cérémonies des Premières Pâques (en 1157-1158 sous le règne de Baudoin III de Jérusalem). Son frère Lambert est malade et soigné à l'hôpital des frères de Saint-Jean. Entre deux visites quotidiennes à l'alité et célébrations, Ernaut en profite à se mêler à quelques groupes de pèlerins lors de visites de lieux saints dans les murs et dans la campagne environnante. Avec son caractère fort aimable et sa taille de colosse qui rassure, il est toujours fort bien accueilli. De quoi se faire moult connaissances. Ça peut toujours servir.

Durant les cérémonies de Pâques, plusieurs morts étranges de pèlerines ont lieu. Les autorités religieuses et séculières voient tout cela d'un mauvais œil. Ces meurtres pourraient porter atteinte au principe du pèlerinage et réduire la manne financière non négligeable pour tout le monde. Ces meurtres, ça fait désordre ! Submergées par cette foule immense, les autorités ne peuvent s'occuper de rechercher le meurtrier. Alors on se tourne vers Ernaut. Lui est bien sûr heureux comme un pape d'être « autorisé à fouiner ici et là. »

Cette nouvelle aventure est aussi l'occasion pour le jeune homme de connaître les premiers frissons de l'amour, de gagner en maturité, de réfléchir sur ses convictions religieuses profondes, sa volonté de devenir fermier comme prévu avec son frère. Loin d'être bête et si cette enquête le passionne, Ernaut observe la vie alentours : le fait que toutes les communautés (entre autres arabes, juifs, syriens, laïques et religieux de tout bord) semblent bien ensemble, les conflits de pouvoir au sein du conseil de la ville et surtout entre les congrégations religieuses. C'est à se demander où ces hommes de Dieu placent les principes chrétiens sur l'échelle des priorités. Comment concilier sa croyance alors que, jusqu'en ce royaume de Dieu sur terre, le mal est partout. « Car lorsque la lumière inonde les cœurs, l’ombre n'en est jamais bien loin, tapie au revers. »

Une fois encore, Yann de Kervran fait des merveilles. Cette nouvelle intrigue est passionnante, captivante tant pour l'intrigue policière que pour les détails de la vie courante de cette Jérusalem du XIIème siècle. Si les choses de la pratique religieuse (histoire, liturgie, congrégations) ne vous charme pas, l'auteur a su doser comme il faut pour ne pas vous rebuter. Il s'ajoute ici une autre dimension, une plus humaine encore. Normal, Ernaut grandit. Il devient peu à peu un homme, avec ses sentiments et sa personnalité qui se forment, frotté qu'il est par la diversité, la complexité et parfois la violence de l'âme humaine.

Dommage de quitter si vite cet aimable colosse. Vivement ses prochaines aventures !

Dédale

Du même auteur : La nef des loups.

Extrait :

Le soleil venait à peine de se montrer derrière le Mont des Oliviers, pourtant la foule était immense, assemblée face à ce qu'on nommait alors le Temple du Seigneur. Les pèlerins étaient si nombreux que certains tentaient de grimper aux arbres qui parsemaient l'esplanade pour ne rien manquer des cérémonies. Comme chacun brandissait qui un rameau d'olivier, qui une branche de palmier, on aurait dit une forêt vivante, ondoyant sous le souffle d'une puissante tempête. Chacun s'efforçait d'être au plus près du petit groupe d'officiants perchés sur le parvis devant le grand bâtiment octogonal. Habillés avec solennité, ils entouraient un évêque, reconnaissable à sa chape rouge, sa haute mitre et sa crosse d'or scintillant dans le soleil du matin.
[…]
Ernaut ne faisait pas à proprement parler partie d'un groupe de voyageurs venus jusqu'ici. Son seul compagnon, son frère Lambert, était alité dans le grand hôpital de Saint-Jean, aux prises avec de mauvaises fièvres depuis qu'il avait contracté la vérole à leur retour de Galilée. Il y avait bien quelques passagers du Falconus avec qui il avait plaisir à se retrouver pour les cérémonies, ou partager un repas, sans pour autant prétendre être intégré à leur communauté. Ils ne s'étaient d'ailleurs croisés que rarement lors de leurs visites dans les différents endroits cités par la Bible, et le fil qui les reliait s'était peu à peu distendu. Lambert et lui n'étaient pas de simples marcheurs de Dieu, ils étaient là pour honorer un vœu, certes, mais ils prévoyaient de s'installer, de profiter des offres alléchantes que les souvenirs d'Outremer faisaient aux Latins pour les inciter à s'établir. A peine débarqués, ils s'étaient empressés, Lambert surtout, de découvrir tous les lieux saints, en attendant de pouvoir assister aux célébrations de Pâques. Ils se mettraient en quête de quelques arpents à cultiver une fois leurs dévotions accomplies.

Les Pâques de sang
Les Pâques de sang de Yann Kervran - Éditions La Louve - 321 pages