Sauf que sous la plume de Gary, rien n'est traité avec facilité. Cette histoire est une douceur aigre-douce absolument délicieuse grâce à une écriture remarquable et surtout un humour cru, dur parfois, mais savoureux à souhait. Tout est dans le jeu des contextes. Sur cette base, l'auteur nous offre des dialogues inouïs de drôleries (enfin quand on est pas concerné au premier chef, bien sûr) et de qui-pro quo gratinés. Il n'y a pour preuve le dialogue hallucinant échangé entre Jacques Rainer et le médecin sur la nécessité de ménager ses fonctions. Des images – comme celle du briquet qui ne s'allume plus – tous les détails autour de Jacques accentuent son désarroi moral et physiologique.
On peut aisément comprendre le déni du patient. Le coup est rude pour un homme habitué aux conquêtes, même si tout a changé depuis sa rencontre avec Laura.
Roman totalement jubilatoire quand on réalise que le vocabulaire choisi par R. Gary est parfait pour trois contextes aussi différents et parallèles : les problèmes physiques de Jacques, l'effondrement de son entreprise et sa crainte de ne point être à la hauteur de l'amour tropical de sa Brésilienne.
Cette saloperie de crise est arrivée au plus mauvais moment, alors qu'on était déjà à bout de souffle... Ça fout le camps de tous les cotés. Je sais que je ne suis pas le seul, je sais... C'est un changement dans l'équilibre du monde. Mais c'est dur. C'est dur de renoncer, d'accepter sa dépendance, dire adieux à toute son histoire, à tout ce qu'on a été…
Mais attention, cette histoire n'aborde pas que ces défaillances physiques. Elle est tout autant une très belle histoire d'un amour qui vous arrive comme par surprise. Quand on aime pour la dernière fois et que c'est peut-être aussi la première. L'auteur nous procure là de très beaux passages de grande tendresse.
Encore une très très bonne lecture. Celle que l'on refera un autre jours avec un doux sourire amusé, tendre aux lèvres. Comme si on écoutait à nouveau Jacques dans ses flamboyances orales donnant le change contre la vieillesse, tel un vieux toréador brillant comme du temps de ses grands jours.
Dédale
Du même auteur : La vie devant soi, Les racines du ciel
Extrait :
On ne peut plus dire « toujours » lorsque tout vous est compté. Mon corps était devenu celui d'un vieux menteur et mes élans les plus sincères se terminaient dans le calcul des possibilités et des délais de livraison. Il ne s'agissait plus d'amour-propre ou de fierté, je ne songeais pas à la rupture pour éviter quelque piteuse déconfiture : il s’agissait d'authenticité. J'aimais Laura trop profondément pour me traîner sur des béquilles à la suite de mon amour. Je pris dans ma poche la lettre que j'avais reçue d'elle ce matin même : elle laissait ses lettres partout dans son sillage, me les donnait de la main à la main, et lorsque j’étais couché, étendu auprès d'elle, elle se levait pour m'écrire. Ses lettres apparaissaient dans mes poches, m'arrivaient par la poste, tombaient des livres – quelques mots griffonnés ou des pages entières – comme si elles faisaient partie d'une végétation luxuriante d'une saison du codeur plus tumultueuse et plus débordante dans ses floraisons que celle de notre latitude plus tempérée et plus encline aux pastels. « Je me suis promenée toute la matinée avec toi au bord de la Seine pendant que tu étais au bureau et j'ai acheté chez un bouquiniste les poèmes du poète brésilien Arthur Rimbaud, tu sais, celui qui fut le première à découvrir les sources de l'Amazone et qui est né français à la suite d'une erreur tragique qu'il vaut mieux passer sous silence. Tu ne sauras jamais ce que ta présence signifie pour moi quand tu n'es pas là car le ciel parisien et la Seine sont à cet égard d'une indifférence qui m'irrite par leur air d'avoir déjà vu tout ça un million de fois et n'être plus capables que d'une carte postale. »
Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable de Romain Gary - Éditions Folio - 248 pages
Commentaires
mercredi 12 septembre 2012 à 08h46
à Romain Gary...... allez un de plus à relire !
mercredi 12 septembre 2012 à 09h12
Dans ce cas, Sylvaine, je te recommande chaudement La promesse de l'aube et aussi ces merveilleux Les cerfs-volants.
mercredi 12 septembre 2012 à 10h54
C'est vrai qu'il écrit bien Romain Gary! pour ceux et celles qui l'ont aimé , le petit livre de Leila Chellabi, sa dernière compagne:"Romain mon amour".
mercredi 12 septembre 2012 à 15h49
Romain Gary est un des premiers écrivains que j'ai lu hors prescription scolaire. Ou seulement suggéré par une prof et non imposé. Et le premier que j'ai lu (j'avais 12 ans) a été celui-ci, pour le titre peut-être... L'effet produit a été bizarre, troublante (savoir qu'il y aura une fin à ce qui commence à peine) mais j'ai continué à lire Gary.
Ses "Emile Ajar" m'ont plu, tout comme une floppée des siens, Clair de femme ou Chien Blanc, ou effectivement ses premiers, Une éducation européenne, La promesse de l'aube...
Je ne sais pas s'il manque d'une véritable reconnaisance ou s'il est injustement méconnu mais ce genre d'article, Dédale, peut amener de nouveaux lecteurs à cet auteur prolifique et multiple. Pas mal, non ?
jeudi 13 septembre 2012 à 21h50
Oui pas mal du tout, c'est vrai, excellente idée de nous parler de Romain Gary. Moi, je l'ai découvert grâce à Nacny Huston (que j'apprécie beaucoup) et qui a écrit : "le tombeau de Romain Gary" : il faut dire qu'il y a plein de points communs entre les deux écrivains : tous deux ont fait l'expérience du bilinguisme et du déracinement. Elle parle très bien de la gémellité et de l'histoire de ce double - Emile Ajar - et des raisons qui ont poussé Gary à lui donner envie. Si vous avez aimé ce "ticket" et que vous voulez en savoir plus sur son auteur, courrez en librairie commander ce "Tombeau de Gary", vous m'en direz des nouvelles.
mercredi 19 septembre 2012 à 11h30
Merci, Marimile, je note ce titre sur mes tablettes.
Jérôme Jukal : je suis d'accord sur le fait que la lecture, c'est aussi une question de moment. Pour preuve mes deux ou trois tentatives avec Gros-Calin de E. Ajar et à chaque fois, ça bloque. Donc j'attends. Romain Gary, manque de reconnaissance ou auteur méconnu ? Je ne sais. Il ne faut pas oublier que nous vivons dans une société où tout va vite, tout s'oublie vite devant la prolifération. Alors oui, en parler peut, je l'espère tout modestement, donner envie de le (re)découvrir
Alice-Ange, je note aussi ce Le tombeau de Gary.
lundi 24 septembre 2012 à 22h13
Merci pour ce commentaire. J'ai lu ce livre il y a déjà quelques années et j'en avais gardé un très bon souvenir. On retient en effet le brio (autobiographique?) avec lequel il décrit la psychologie du personnage son besoin d'exister dans les bras d'une femme, d'être aimé, même si c'est pour son argent.
Bref un héros très humain et formidablement bien décrit !
mardi 25 septembre 2012 à 20h19
De rien, Tubuai. Effectivement, Jacques Rainier est attachant et brillant
vendredi 9 mai 2014 à 16h04
je ne le connaissais pas je rajoute à ma PAL car rien que le titre donne envie de le lire
vendredi 9 mai 2014 à 18h24
Bonsoir Eve-Yeshe,
En cette année d'anniversaire du centenaire de la naissance de l'auteur, vous devriez trouver encore plus aisément cet ouvrage et tous les autres, notamment Les cerfs-volants, merveille, qui me reviennent en mémoire. De quoi créer une pile spéciale
Bonnes lectures,