Dans le grand nord européen, au cœur de la Laponie, un berger est assassiné. Quelques heures plus tôt, un masque traditionnel Sami est volé. La Police des Rennes mène l'enquête, envers et contre tous.

10 janvier, Kautokeino, Laponie.
En pleine nuit polaire, alors que le soleil pointe timidement un rayon à l'horizon, deux crimes sont commis envers les Sami. L'un contre leur culture, avec le vol d'un masque traditionnel tambour. C'est l'affaire de la police suédoise.
L'autre est une atteinte physique puisque l'un des bergers de rennes est retrouvé mort. Et là c'est l'affaire de la police des rennes. L'inspecteur Klemet, hanté par son passé et sa condition, et sa jeune collègue Nina vont remuer les déserts de glace pour comprendre, avancer contre vents et marées, déterrer des secrets oubliés et peut-être réussir à faire changer un peu les choses.
Car tout n'est pas pour le mieux, dans ce pays qu'on dit être l'un des plus civilisés du monde...

Olivier Truc est journaliste. Correspondant spécial pour Le Monde et Le Point, il vit à Stockholm où il a pu s'immerger dans les cultures et civilisations qu'il dépeint. Et c'est un portrait sans concessions des sociétés suédoises et norvégiennes qui apparaît, avec une enquête policière en toile de fond.
Car - et à la lecture du roman, c'est un sacré choc - ces deux pays sont gangrenés par un racisme terrible envers les indigènes lapons qui connaissent, encore à l'heure actuel, les mêmes déboires que les amérindiens au XIXème siècle. C'en est révoltant par moment.

D'ailleurs, plus qu'une intrigue policière (qui soit dit en passant est menée de main de maître), c'est un roman social qui nous est présenté. Un instantané de cette culture lapone en train de disparaître, étouffée par "la civilisation". Cette uniformisation qui annihile toute velléité de différence culturelle sur son passage. Il n'y a qu'à voir en France les difficultés qu'éprouve la nation bretonne pour ne serait-ce que faire vivre sa langue. Les mêmes problèmes sont abordés ici.
Racisme primaire, ségrégation, ignorance, défiance, négation de la culture, des traditions, de la langue. En bref, c'est tout un peuple qui meurt doucement, sans que personne y fasse rien, avec les bénédictions des politiques.

Ajoutez à ce tableau un soleil qui disparaît durant un quart de l'année, un enquêteur sang-mêlé en quête de sa propre identité, un chanteur de Joïks, une expédition menée par Paul-Emile Victor, un tambour chamanique, un français pédophile, une enquêtrice plutôt mignonne, un pasteur luthérien fanatique... Secouez le tout et servez frais.

Pour un premier roman, c'est un coup de maître. Mêlant habilement suspens, traditions, actualité écologique et problèmes de société, ce Dernier Lapon a des réminiscence du Dernier des Mohicans. Servi par une plume agréable malgré quelques maladresses de primo-romancier, des paysages à couper le souffle et une documentation solide, c'est un roman qui ne se lit pas à la légère.

A mettre entre toutes les mains cependant.

Cœur de chêne

(Les avis des autres membres du jury des Biblioblogueurs en suivant ce lien et ceux du jury des lecteurs dans les commentaires du billet)

Extrait :

Lorsque les deux policiers se retrouvèrent dans la voiture, après être sorti du temple, Nina se tourna vers son collègue.
- Klemet, il m'a semblé que tu avais du mal avec ce pasteur.
Le policier la regarda longuement avant de répondre. Il mit l'index sur la bouche.
- Chuuut. Pas maintenant. Tu vas me gâcher le moment le plus magique de l'année.
Nina le regarda sans comprendre. Klemet ramassa le Finnmark Dagblad du jour et lui montra la dernière page, celle de la météo. Nina comprit aussitôt et sourit. Elle regarda sa montre. Il restait moins d'un quart d'heure. Klemet conduisait rapidement. Il dépassa le commissariat, continua jusqu'à la sortie de Kautokeino et emprunta un sentier qui serpentait sur le haut de la colline qui dominait le village. Il s'arrêta enfin. Des voitures et des motoneiges étaient déjà garées là. Certains habitants du village avaient déployé des peaux de rennes et s'étaient installés avec des thermos et des sandwichs. Des enfants couraient en criant, leur mère leur dit de se taire. Les gens étaient couverts de parkas, de couvertures, de chapkas. Certains sautaient sur place. Aucun ne détournait le regard de l'horizon. La lueur magnifique se reflétait de plus en plus ardemment sur quelques rares nuages qui reposaient mollement au loin. Nina était saisie. Elle regarda sa montre. 11h13. On voyait maintenant nettement un halo vibrionnant troubler le point d'horizon que chacun fixait. Nina eut le réflexe de plonger la main dans la poche de sa combinaison, mais elle se retint de demander à Klemet de prendre une photo, en voyant l'émotion évidente de son collègue. Elle le prit discrètement en photo et se tourna pour profiter de l'instant. Les enfants s'étaient tus, le silence était impressionnant, à la hauteur de l'instant. Nina ne connaissait pas ce phénomène dans le sud de la Norvège, mais elle en ressentait pourtant pleinement la puissance charnelle et même spirituelle. Elle s'adossa comme Klemet à la voiture pour s'offrir, enfin, aux premiers rayons du soleil. Elle tourna la tête. Klemet était recueilli, les yeux plissés. Le soleil avait de la difficulté à décoller. il demeurait à proximité de l'horizon. Klemet paraissait maintenant observer son ombre dans la neige, comme s'il découvrait une magnifique œuvre d'art. Puis les enfants se remirent à jouer, des adultes à se taper dans les mains ou à sauter sur place. Le soleil avait tenu parole. Tout le monde était rassuré. L'attente, quarante journées sans ombre, n'avais pas été vaine.

Le dernier Lapon
Le dernier Lapon de Olivier Truc - Éditions Métailié - 456 pages