La narratrice du roman a au moins un point commun avec Caroline Vié puisqu'elles sont toutes deux critiques de cinéma pour la presse. Je souhaite à la romancière que les ressemblances n'aillent pas plus loin. Voyez plutôt : la narratrice est depuis sa naissance indifférente à tout ce qui l'entoure. Mariée et mère parce que ça se fait, critique de cinéma par la force des choses, elle n'est pas du genre à s'affoler parce qu'elle doit interviewer une star Hollywoodienne. Et pourtant, alors qu'elle nous raconte ce début d'existence plutôt maussade, le récit est entrecoupé de passages où elle s'adresse à l'objet de tous ses désirs qui vient de débarquer dans sa vie.
Pendant quelques pages, le doute plane : qui est ce Tu qui a ainsi bouleversé son quotidien ? Un enfant ? Un nourrisson ? Le choix des mots pourrait nous le laisser croire :
Je me penche sur ton lit et te regarde dormir. Tu fais des bulles en ronflant doucement. Je te parle et tu ne m'écoutes pas. Ce n'est pas grave. Il faut que je mette les bouchées doubles. Tu sais si peu de choses sur moi. Je connais tant sur toi. C'est injuste, voilà pourquoi je m'engage à la sincérité. Je le dois à ton sourire. Je le dois à cette moue délicieuse, à ces grands yeux. Je pourrais te regarder des heures. Laisse-moi jouer les Shéhérazade, mon bébé. Qui a dit que quand on aime, on ne conte pas ? Tu te berceras de mon histoire.
D'une jeune mère, ce discours pourrait sembler à peu près normal. Mais voilà, elle ne s'adresse pas à son enfant. Ce "bébé" est l'acteur anglais dont elle s'est entichée depuis plusieurs années. Il aura suffit d'un entretien qui tourne un peu mal, d'un coca renversé, et notre narratrice qui vivait jusque-là à la lisière de tout sentiment, développe une véritable obsession pour ce comédien. Elle se débrouille pour le rencontrer à chacun de ses passages parisiens, le traque jusqu'en Amérique du Sud, cherche le moindre indice sur sa vie privée. Pourtant, ce n'est même pas un acteur très à la mode : un peu rondouillard, assurant souvent des seconds rôles, il ne comprend pas lui même qu'on puisse le trouver beau, mais est flatté de l'attention que lui porte cette journaliste française. Tout va basculer quand la carrière de ce dernier va commencer à décoller...
Brioche est un roman à deux niveaux :
il y a d'abord un portrait cinglant du système de promotion de l'industrie cinématographique. Caroline Vié égratigne ses confrères (on reconnaîtra sans mal une émission télé à laquelle elle a participé) et nous offre quelques scènes mémorables d'interviews à la chaîne avec les stars américaines. Des caprices des stars, aux exigences des attachées de presse, en passant par l'aberration des interviews groupées, Brioche nous laisse accéder aux coulisses parfois peu reluisantes du cinéma.
L'attaché de presse, c'est le maquereau de la star, mais à force de se frotter aux célébrités, il pense souvent que le génie l'a contaminé. Celui de Julia [Roberts] a commencé à être hystérique une bonne semaine avant de la voir descendre de l'avion avec son escorte d'assistants, coiffeurs, maquilleurs et autres nounous. Quand j'arrive à l'hôtel, l'homme ressemble au Diable de Tasmanie sous acide.
Et puis, il y a bien sûr l'intrigue principale. Ce plongeon vers la démence la plus absolue et qui ne peut que mal finir. Petit a petit, Caroline Vié, en laissant entrevoir l'abîme dans lequel est sa narratrice, bascule de l'humour à l'angoisse.
Pour la petite histoire, et parce que Caroline Vié laisse quelques indices révélateurs, j'ai cherché (et fini par trouver) de quel acteur il était question. Mais sait-il lui-même qu'il est un devenu un personnage de roman, et à quelle sauce il est dégusté ?
À mi-chemin entre le huis-clos psychologique et la satire de l'industrie cinématographique, Caroline Vié signe un premier roman aussi drôle qu'inquiétant.
Laurence
Extrait :
Ta beauté m'est apparue comme une évidence. J'ai soudain compris ce que signifiait le mot «perfection». Tu en étais le synonyme, mieux, l'incarnation. Je ne voyais plus que la forme de tes lèvres charnues comme la guimauve des petits nounours en bombec, une matière épatante dans laquelle il est presque impossible de ne pas avoir envie de mordre à belles dents. Je t'ai contemplé. Tu ressembles à une brioche. Je suis réac en termes de pâtisserie : j'aime les gâteaux tout simples et blonds, pas les trucs à la rose, au laurier-sauce ou au thym qui gagnent à rester dans leur pot de fleurs, côté jardin. J'ai suivi en pensée les courbes de ton corps moulé dans un T-Shirt un peu trop petit. J'avais passé ma vie à entendre mon entourage m’asséner sa conception du beau et du bien. J'avais beaucoup hoché la tête, entre sourde caustique et fausse sceptique. Pour la première fois de mon existence, je ne regrettais pas d'être en vie.
Brioche de Caroline Vié - Éditions JC Lattès - 219 pages
Commentaires
jeudi 27 septembre 2012 à 10h43
Cette brioche-là m'a l'air bien appétissante, surtout s'il s'agit de cinéma! je vais me laisser tenter...
vendredi 28 septembre 2012 à 17h14
Marimile : si tu n'aimes pas trop le sucré et lui préfère l'acide, tu devrais apprécier.
samedi 9 février 2013 à 23h00
Pourquoi "anglais" ? Et de qui cela s'inspire-t-il ?
dimanche 10 février 2013 à 08h20
Bonjour Isabelle

qu'entendez-vous par pourquoi anglais ? Pourquoi je dis qu'il est anglais ? parce que les indices dans le texte sont suffisamment explicites. Pourquoi Caroline Vié a choisi un acteur anglais ? Ma foi, c'est à elle qui faut le demander. Quant à savoir de qui cela s'inspire, je vous laisse chercher.