Atterrir est un roman à deux voix. Celle de la jeune femme, qui parcourt l'Europe pour retrouver une personne. Cette personne fait partie d'une liste de cent noms et on ne découvre que petit à petit le point commun de toutes ces personnes. Car qu'y a-t-il en commun entre une journaliste néerlandaise, une jeune tenancière de bar ou un jeune berlinois ? C'est une part du mystère qui parcourt le roman.

L'autre voix est celle du vieil espagnol, mort dans l'avion. Il raconte son histoire, son départ d'Espagne un peu par hasard, avec une simple valise en carton, pour être embauché dans une usine aux Pays-Bas, comme beaucoup de ses compatriotes. Il évoque sa vie dans les campements dédiés aux immigrés espagnols, sa rencontre avec Wilemine, qui deviendra sa femme. Puis son retour en Espagne, à Figueras, pour essayer d'améliorer la santé de son épouse.

Le texte est à deux voix, mais il donne également l'occasion de voyager dans deux sociétés différentes. On navigue constamment entre les Pays-Bas d'aujourd'hui, où une jeune femme tente de répondre à une énigme de son passé, et l'Espagne , pays d'origine et lien indéfectible pour un homme qui a choisi temporairement un exil de travail. Évidemment, ces deux histoires vont se croiser, se rapprocher et se séparer, dans une construction habile et efficace qui évite tout pathos excessif.

Laia Fabregas est d'origine espagnole, comme son nom le laisse penser. Mais elle a choisi de vivre aux Pays-Bas et écrit dans la langue de son pays d'accueil. Elle mêle donc dans le roman les deux pays qui ont marqué son parcours et donne à lire une intrigue prenante, servie par une jolie plume.

Yohan

Extrait :

Enfin, le premier jour de travail est arrivé. Mais pour moi, ce jour si longtemps attendu s'est traduit par une déception : au lieu de radios ou de télévisions, au lieu de câbles et de lampes à incandescence, on m'a donné un balai. Je devais balayer le sol des usines et des bureaux ! Balayer ! Dans mon contrat de travail, il était clairement indiqué "ouvrier spécialisé". Comment osaient-ils affecter un ouvrier spécialisé au nettoyage ? Où étaient mes gigantesques ampoules à incandescence ? Je n'avais encore jamais balayé le sol de ma vie. C'était un travail de femme. Et mon enthousiasme pour la fabrication des meilleures ampoules, il me servait à quoi ?
Le premier jour, j'ai gaspillé la matinée à balayer et à épousseter à contrecœur. Dans l’après-midi, je me suis souvenu que dans mon rêve, je nettoyais les ampoules après les avoir fabriquées, et cela m'a redonné un peu d'espoir. Je me suis efforcé de me rassurer, tout bien considéré, j'étais peut-être quand même dans mon rêve, je faisais le ménage dans une usine d'ampoules. Leur fabrication viendrait en son temps. Je le savais. Je devais patienter et m'appliquer dans mon travail.
J'avais beau me dire qu'il me fallait être patient et que tout finirait par s'arranger, je ne me suis pas du tout senti dans mon élément la première semaine. Le vrai travail me manquait, même le bétail et le dur labeur à la ferme me manquaient. J'avais fait deux mille kilomètres pour balayer dans un pays sans soleil.

Atterrir
Atterrir de Laia Fabregas - Éditions Actes Sud - 224 pages