Il était une fois... Tous les contes commencent par cette phrase consacrée, et la Marche de l'incertitude aurait très bien pu débuter ainsi. Mais Yamen Manai n'aime pas suivre les chemins tout faits. Son histoire commence donc par un très énigmatique « Quelques années plus tard ». Dans ce futur dont ne sait encore ce qui l'a précédé, Christian Boblé vient de recevoir le prix Nobel pour ses recherches sur l'anti-matière. Lors de son discours de remerciement, il rappelle l'importance du hasard dans les progrès scientifiques.

Quelques années plus tôt, la jeune Marie est follement amoureuse d'un garçon de son lycée prénommé Christian.
Quelques années plus tôt, le Colonel Boblé, inconsolable depuis la fin de la guerre et la mort de sa bien aimée, recueille un bébé au pas de sa porte ;
Quelques années plus tôt, à Sidi Bou Saĩd, Moussa économise pièce à pièce pour pouvoir s'offrir un aller simple dans la capitale française si convoitée.
Quelques années plus tôt, Rima se souvient avec nostalgie de son enfance en Tunisie, à Sidi Bou Saïd.

Le hasard, maître des dés, avait décidé de recroiser leur chemin.

La marche de l'incertitude est une très belle histoire sur les hasards de la vie (et que d'autres appellent le destin). Si l'on comprend dès le départ que tous les personnages vont finir par se croiser et se recroiser, la construction non-linéaire permet de conserver une grande part de mystère. L'auteur livre au lecteur son histoire par fragments, par épisodes non consécutifs, le laissant doucement reconstruire la chronologie. Plus encore que dans La Sérénade d'Ibrahim Santos, on est frappé par la poésie de l'écriture. Yamen Manai œuvre avec délicatesse et légèreté, réussit à doser humour et tendresse et nous offre, en prime, de magnifiques descriptions de sa Tunisie natale.

J'ai réellement été séduite par cette Marche de l'incertitude, plus encore peut-être que par La Sérénade d'Ibrahim Santos, et n'ai cessé tout au long de ma lecture de noter des phrases ou des passages qui me plaisaient particulièrement. J'espère donc qu'il vous plaira autant qu'à moi.

Lire aussi l'interview de Yamen Manai pour le Biblioblog

Laurence

Extrait :

Le colonel se retira dans la collines des coquelicots. Il n'en descendait que pour s'acheter des vivres et des livres de poche. Dans sa solitude, il en lisait un par jour pour ne pas se donner la mort, comme s'il était sa propre Shéhérazade. Il en avait lu dix mille quand le hasard maître des dés avait décidé de croiser leurs chemins. Le colonel Boblé comprit que, si les balles qui pleuvaient au front lui avait épargné la vie, c'était pour ce bébé et non pour Rose. Il décida de l'élever comme un fils et d'en faire l'œuvre de sa vie. Il l'appela Christian.

La marche de l'incertitude
La marche de l'incertitude
de Yamen Manai - Éditions Elyzad poche  - 162 pages