En plus d'être une gageure architecturale et économique pour le pays, la construction de Brasilia est un formidable maelström d'espoirs, de vies, de spéculations financières, d'amours clandestins, de rêves et implantation de sectes.
De ce tourbillon, le narrateur se focalise plus particulièrement sur son père, Moacyr Ribeiro, le chroniqueur de Brasilia, ses tantes Mathilde et Francisca mais aussi Valdivino, un de ces paysans attirés comme des papillons par les lumières de la nouvelle capitale naissante.

Cet Hôtel Brasilia est une histoire mêlée par des bribes de la vraie Histoire, où les personnages du narrateur, sa famille, croisent les officiels du pays, les architectes Oscar Niemeyer et Lucio Costa ou les personnalités étrangères venues du monde entier pour voir « ces formes de ciment et en acier extraites de la boue, qui surgissaient du jour au lendemain comme des champignons. » Et plus subjectivement, on y trouve également une prophétesse Iris Quelemém, reine du Jardin du Salut ainsi qu'un malfrat touche à tout, en affaires avec Ribeiro.

Initialement tentée par cette histoire dans le but d'en savoir un peu plus sur cette capitale créée de toute pièce, j'ai très vite été déstabilisée par le parti pris par l'auteur à privilégier l'aspect très subjectif des propos du narrateur. Il faut s'y retrouver dans ce conglomérat de ses souvenirs, des notes de son père le chroniqueur, le résultat de ses recherches documentaires, les commentaires des lecteurs de son blog sur cette construction ou bien les observations de sa tante Francisca. Mon souci n'a pas tant été le mélange de la petite histoire dans la grande, mais bien le fait que toute cette relation reste finalement assez vague, un grand chaudron où l'on jette tous les ingrédients apparemment sans ordre précis. Ou alors je n'ai peut être pas compris la structure suivie par l'auteur. Tout se lit bien mais j'ai trouvé que l'auteur tournait en rond, avec les répétitions dans le discours de Valdivino, ce manœuvre ayant vocation à bâtir des églises et que personne ne croit.
L'ennui a failli me prendre au détour d'une page. Et pourtant, j'ai continué ma lecture jusqu'au bout parce que je voulais savoir si j'avais trouvé la raison de la disparition de Lucrèce, une prostituée amante de Ribeiro et du malfrat. Surtout si Valdivino était bien mort ou pas et si oui pourquoi. Selon Iris, Valdivino n'est pas mort, il est dans la forêt à la recherche de Z, la ville perdue. Au final, le mystère reste entier.

Une lecture donc qui me laisse avec un sentiment assez mitigé. Il m'a certainement manqué la clé pour entrer totalement de cet Hôtel Braslia, peut être trop foisonnant, comme la forêt environnante.

Dédale

Extrait :

A chaque groupe qui approchait, tante Francisca annonçait que Valdivino allait peut-être passer. Après cinq mille soldats, plus de dix mille candangos ont défilé avec leurs outils de travail, des étudiants, des kilomètres et des kilomètres de tracteurs, de jeeps, de camions, de grues, d’engins d'aplanissement, d'excavation, d'enlèvement et de construction, mais pas l'ombre de Valdivino.
Les dirigeants de la Novacap et les architectes Oscar Niemeyer et Lucio Costa ont aussi défilé, de même que papa et Roberto comme prévu, avec le personnel de la Novacap. Nous leur avons fait signe et nous avons crié et nous avons été contents lorsque papa nous a fait à son tour des signes. J'ai ressenti une satisfaction intime de ce que tante Francisca n'ai pas vu Valdivino passer, bien que j'ai été contrarié que son absence occupe tant de place dans nos conversations.
Quand six heures ont sonné – pendant que les avions de l'escadrille de la fumée rayaient le ciel de blanc et de bleu, la fanfare des Fusiliers Marins jouait pour la foule et les athlètes portant la « flamme symbolique de l'unité nationale » arrivaient en même temps que les colonnes militaires venues à pied de Rio et de Salvador – il semblait qu'il allait pleuvoir, nous avons oublié de prendre des parapluies, à dit tante Francisca, mais peu à peu le ciel s'est débarrassé de ses voiles noirs et le beau temps est revenu.
Vers sept heure du soir, mes tantes et moi avons suivi un fleuve de gens allant de l'Axe jusqu'à la gare routière. Après, je ne sais plus si à sept heures et demie ou à huit heures, plus de vingt tonnes de feux d'artifice ont commencé à exploser en produisant des dessins colorés dans le ciel comme j'en avais jamais vu. Mes tantes chantaient sur l'Axe Monumental en face de la gare routière, et des masses d'autres personnes les imitaient. Tante Francisca, la taille serrée par une ceinture blanche, dansait avec légèreté, confortablement dans ses souliers plats, faisant tournoyer sa robe large avec des ramages bleus qui laissaient apparaître le bord du jupon. Tante Mathilde, en équilibre dans ses chaussures noires à talons, balançait ses gros seins dessinés par sa robe chatoyante. Celle-ci était en satin couleur menthe, avec des bretelles noires et une bande étroite du même noir à la hauteur des seins, et trois boutons, noirs eux aussi, descendant du décolleté. Le froncement léger en nid d'abeille sous la taille lui aplatissait le ventre et lui rehaussait le postérieur. Moi aussi j'ai essayé d’esquisser quelques pas de danse, et nous sommes restés là, à chanter et à danser, jusqu'à ce que commence une énorme fête à la gare routière à neuf heures du soir.

Hôtel Brasilia
Hôtel Brasilia de Joao Almino - Éditions Métailié - 222 pages
Traduit du brésilien par Geneviève Leibrich.