Aux États-Unis Elina découvre une liberté de mœurs qu’elle ne soupçonne même pas, alors que jusqu’ici elle a été soumise à une discipline de fer, entraînée comme une athlète à devenir une diva internationale : sous la plume de Régine Detambel on apprend que Kristen Flagstad va enseigner les aigus à Elina et tenter de lui apprendre le fameux « toucher de cristal » de la voix.
A 16 ans elle sera le Chérubin des Noces de figaro même si elle est beaucoup trop jeune pour ce rôle, ce qui lui attirera les foudres des critiques.
Elle se rend compte surtout que la vie d’une cantatrice n’est pas de tout repos. « Elina Marsch, vers les vingt-cinq ans, a une voix exceptionnelle, on a l’impression que ses cordes vocales ont des lèvres, elles articulent toutes seules à une vitesse phénoménale et sans même que le visage de la diva ne cligne ou ne frémisse, des choses imparables. Ses habilleuses ont vu déjà tant d’hommes et de femmes défaillir dans les loges, pour elle, à cause d’elle, par elle, désespérées ou au contraire ivres de joie à s’en tuer, qu’elles disparaissent discrètement devant un dos nu ou un peu de cette violence passionnelle, si difficile à doser. » Son amie le lui a expliqué : une prima donna doit produire sept succès par an et sept scandales également, c’est ce qu’on attend d’une vedette comme elle en a le potentiel.
La vie à deux artistes - le père et la fille - n’est pas simple et on ne sait lequel des deux va dominer l’autre. Mais « peut-on continuer à vibrer, dans la longueur d’ondes spécifiques qu’on a choisie et qui vous a choisi, si une autre vibre à côté de vous, et en fin de compte, vous parasite ? ».
Elina aurait pu connaître une carrière fulgurante si un étrange mal ne s’était emparé d’elle, mais pour savoir lequel il va falloir plonger dans l’univers de l’opéra sérieux…
L’écriture de Régine Detambel est foisonnante : elle nous emporte avec brio dans l’univers difficile des chanteurs d’opéra. Avec un vocabulaire riche, son texte est charnel et sensuel.
Découpée en chapitres comme autant de mouvements ( « Ouverture », « Contre-chant », « Finale » …) cet opus nous apprend beaucoup sur cet organe si particulier et unique qu’est la voix.
La fin étrange et romancée pourra dérouter le lecteur mais comme son entrée dans la vie, le destin de Elina a quelque chose de légendaire.
Alice-Ange
Du même auteur : Noces de chêne, La splendeur
Extrait :
La manière de chanter varie selon le pays, le climat, la culture musicale. Dans la tradition vietnamienne, le vibrato imite le rebondissement des grains de riz lorsqu’on les verse sur un plateau. L’écart entre les notes extrêmes de ce vibrato est bien plus grand que dans la tradition occidentale. Il existe aussi des voix particulières qui expriment les sentiments violents, comme la voix du foie qui hurle la colère ou celle des intestins qui gémit de désespoir. Doan donne toujours des exemples chantés, en faisant vibrer longuement les chambres de résonance de son visage. Il écarquille les yeux, il est effrayant. Quel usage étrange de la bouche. Ces sensations musicales nouvelles, ces mélanges produisent en Elina un sentiment d’euphorie très particulier, comme d’élargissement de ce monde minuscule qu’elle avait cru voir commencer à Monteverdi et s’achever dans Berg et Schönberg. Et même ce que pense Doan donne de l’élasticité aux frontières.
Opéra sérieux de Régine Detambel - Éditions Actes Sud - 135 pages
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