Il y a d'abord ce portrait d'une France majoritaire et silencieuse. Cette France qui se lève tôt mais réussit à peine à vivre. En retournant dans sa ville natale, Paul Steiner croise ses anciens camarades de classe. Aucun n'est réellement parvenu à s'extraire de son milieu. Il y a ce père de famille, diplômé, qui n'a d'autre choix pour nourrir les siens que d'accepter des cdd au supermarché du coin ; cette ancienne amie qui, terrifiée à l'adolescence par le statut de femme au foyer de sa mère, se retrouve à l'âge adulte dans la même situation ; ce père, ancien ouvrier syndiqué, qui trouve du sens aux propos de Marine Le Pen ; tous ces hommes et ces femmes que la politique et les média ont oublié alors qu'ils sont le centre même de notre pays. On retrouve ici des thèmes que l'auteur a déjà exploré, mais abordés cette fois par le grand angle. Il ne s'agit pas de suivre le destin particulier de l'un ou de l'autre, mais de peindre une génération, de mettre sous les projecteurs tout un pan de la population que l'économie et les politiques d'urbanisation ont rejeté aux périphéries. Olivier Adam n'a jamais caché son admiration pour le travail de Pierre Bourdieu et sa vision du déterminisme social. Ces lisières sont un hommage aux théories du sociologue et Olivier Adam a réellement su capter et traduire cette partie de la population.
Il serait pourtant faux de restreindre Les Lisières au genre du roman social. D'abord parce que Olivier Adam a raison de dire que ce n'est pas parce qu'un roman parle du commun des mortels qu'il est "social". Ensuite, parce que le véritable personnage principal de ce récit, celui qui est au centre, c'est son narrateur Paul Steiner. Les lisières se concentre moins sur les difficultés d'une classe sociale que sur le parcours d'un écrivain à la dérive.
Paul a donc réussi à s'extraire de son milieu. Il est devenu L'Écrivain. Celui qui raconte sa banlieue natale sans jamais y être retourné. Celui qui ne se sent nulle par chez lui : ni dans sa ville natale où il se sent trop cultivé ; ni à Paris, où il se sent trop plouc ; ni même maintenant en Bretagne puisque sa femme l'a quitté. Paul est un homme rongé par la culpabilité et l'alcool, qui s'est toujours montré incapable à créer de réels liens avec ses proches. Un homme au bord de la falaise, dans un équilibre sans cesse précaire.
Évidemment, Olivier Adam entretient volontairement une similitude entre son narrateur et lui. On retrouve tout au long du récit de nombreux points communs entre les deux hommes : de leur physique en passant par leur écrits, il ne fait aucun doute que Paul est le double littéraire d'Olivier. Partant de là, Les Lisières serait donc également une auto-fiction, ce genre finalement si commun dans la production française contemporaine. Amusant si l'on songe que Paul se sent « étranger » au milieu littéraire actuel. Agaçant si l'on n'adhère pas à cette tendance nombriliste. Car, il faut bien le dire, Paul se raconte plus qu'il ne raconte les autres. Défaut intrinsèque de sa personnalité - ou de sa maladie -, certes, mais qui lui donne rapidement un côté tête à claques exaspérant. En enfermant son narrateur en pleine dépression, il restreint de fait la vision de ce dernier sur ce qui l'entoure. Ainsi, chaque événement, chaque fantôme de son passé, est mesuré à l'aune de sa dépression. Heureusement, dans la seconde partie du récit, les apitoiements du narrateur sont moins présents et même si l'on retrouve des motifs déjà traités dans les précédents romans de l'auteur l'intrigue devient plus consistante.
Ces Lisières me laissent donc un sentiment ambigu. Si j'ai réellement aimé le portrait d'une génération et d'une classe sociale, je regrette qu'il ne soit finalement que la toile de fond du récit et je suis plus réservée concernant l'ensemble du roman. Je me doute que c'est une œuvre dans laquelle Olivier Adam a livré une grande part de lui-même, le roman où il se dévoile le plus, mais peut-être est-ce là justement ce qui m'a gênée. Pour un roman parlant des lisières, de ceux qui sont à la marge, j'ai trouvé le narrateur beaucoup trop auto-centré, quitte à laisser au bord de la route ceux qui auraient dû en être les figures centrales.
Du même auteur : Des vents contraires, À l'abri de rien
Laurence
Extrait :
Si étrange que celui puisse paraître, cette banlieue où personne n'avait jamais eu envie de vivre, cette banlieue que j'avais toujours entendu qualifier de pourrie, ni plus ni moins qu'une autre mais simplement pourrie, de laideur commune, de banalité pavillonnaire et d'ennui résidentiel, était devenue l'objet d'une flambée immobilière qui me laissait interdit. On s'y arrachait les appartements et les pavillons avec jardin les moins éloignés de la gare, en train vingt-cinq minutes suffisaient à rejoindre le centre de Paris, qui eût cru qu'un jour les lignes C et D du RER deviendraient des arguments de vente autorisant toutes les enchères ? Paris n'en finissait plus de repousser les classes moyennes hors de ses murs, même la petite bourgeoisie ne s'en sortait plus, il suffisait qu'un couple ait deux enfants et c'était fini, tout était hors de prix. Tout ce joli monde avait d'abord colonisé la petite ceinture, et voici qu'il déboulait en grande banlieue, s'éloignant parfois jusqu'aux confins des campagnes.
Les lisières d'Olivier Adam - Éditions Flammarion - 454 pages
Commentaires
mercredi 17 octobre 2012 à 09h06
On parle beaucoup d'Olivier Adam en ce moment et ce billet m'incite à mettre "Les lisières" sur ma liste. Un de plus!
vendredi 19 octobre 2012 à 13h40
Marimile : oui, je pense que son changement d'éditeur n'y est pas pour rien. Mais comme je le dis, je suis plutôt mitigée concernant ce roman là.
samedi 20 octobre 2012 à 19h43
Voilà donc le fameux dernier Olivier Adam.
Certaines critiques dans la presse en ont fait son meilleur livre, d'autres ne l'ont pas aimé.
Nul doute que l'auteur de "A l'abri de rien" livre quelque chose de lui-même, mais comme tout auteur il joue avec son personnage, parfois double de lui-même, parfois très éloigné (Olivier Adam n'a pas été quitté par sa femme par exemple). Dans l'interview qu'il donne au Magazine LIRE de septembre, Olivier Adam explique qu'il parle de ce qu'il redoute le plus : "J'écris sur tout ce dont j'ai peur, y compris les trucs les plus horribles, pour que précisément, ça n'advienne pas".
Et son livre n'est pas de l'autofiction. Même s'il se revendique de Annie Ernaux, il explique aussi : "Je ne fais pas de l'autobiographie, mais tout trouve racine dans ce que j'ai pu observer au cours de ma vie".
Tu as raison Laurence, son personnage, Paul, n'est pas forcément aimable : "J'assume que ce Paul Steiner se contredise, qu'on ait parfois envie de le rassurer et de lui foutre des tartes".
Mais ce qui me paraît le plus intéressant, c'est ce concept de "lisières" : les lisières qu'il décrit - il a grandi dans ces zones-là, et la plupart des écrivains ne viennent pas de ces endroits-là donc ils ne les connaissent pas, dit-il - ne sont pas que géographiques, mais ce sont aussi celles que l'on peut connaître au cours de sa vie : "Mes parents viennent d'un milieu très populaire. (..) Puis j'ai fait des études qui m'ont conduit à côtoyer d'autres gens, à Paris, qui venaient plutôt, eux, des banlieues chic de Neuilly ou du VI ème arrondissement. Puis le milieu littéraire parisien. Ces changements de classe sociale m'interrogent sur moi-même. A quel endroit est-ce que j'appartiens ? Ce roman se fait l'écho de cette interrogation".
Il me semble que c'est le thème le plus intéressant de ces "lisières", et celui qui peut trouver de l'écho en nous, tout en s'appuyant sur le défi qu'Olivier Adam s'est fixé : "je cherche un intime qui soit collectif" : tout un programme ....
samedi 20 octobre 2012 à 21h05
Le thème principal de ce roman pour moi est la périphérie : un homme qui a toujours vécu en périphérie de lui-même de l'enfance à l'âge adulte, qui a vécu à la périphérie d'une ville dans une sorte de no man's land sans charme et sans âme, à la périphérie d'un amour, d'une famille sans vraiment s'y impliquer totalement, à la périphérie d'un milieu social humble dont il s'est très vite échappé dans l'adolescence par la culture puis par son métier d'écrivain.
Il vit à la lisière de sa vie, c'est sa douleur et sa vérité. Le seul terrain sur lequel il y est corps et âme, c'est l'écriture.J'ai aimé la finesse et la justesse avec lesquelles l'auteur décrit et analyse ces sensations, émotions, peurs et angoisses issues de cet état de chose. Mais des longueurs inutiles qui diluent et retirent de la force au récit et un ton décidément pleurnichard qui m'a énervée !
dimanche 21 octobre 2012 à 09h07
Alice-Ange : pour le terme d'auto-fiction, j'ai volontairement utilisé le conditionnel. Je me doute bien que ce que les faits exposés ne sont pas réels (ou pas tout à fait). Mais les similitudes entre Paul Steiner et Olivier Adam sont tellement nombreuses, qu'il est difficile de faire la part des pensées de l'un et de l'autre. Je ne suis pas non plus d'accord avec l'assertion qui veut que la plupart des auteurs ne viennent pas des lisières. Tout dépend quels auteurs on lit habituellement. Bien sûr, si l'on parle du milieu germano-prattin, cette affirmation a tout son sens. Mais voilà, la production française ne se limite heureusement pas à ce petit milieu. Je pourrais ainsi te citer bons nombre d'auteurs qui ont grandi dans les classes moyennes, même s'ils n'en parlent pas forcément dans leurs œuvres.
Quant à la thématique des lisières (ou de la périphérie, comme le dit très justement Katedulub, dont je partage l'analyse), c'est effectivement le thème principal. Mais voilà... le ton pleurnichard de son narrateur m'a agacée pendant les deux tiers du roman. Son incapacité à réellement écouter ceux qui l'entourent, à se remettre en question, finit par laisser à la périphérie ceux qui auraient dû être au cœur du récit.
Malgré tout, Les Lisières restent un roman très intéressant, et je ne regrette nullement de m'être lancée dans cette lecture. Simplement, ce ne sera pas pour moi un "coup de cœur".
vendredi 26 octobre 2012 à 15h55
Demain et pour quelques jours l'océan pourra clarifier mes pensées embuées par une émotion à laquelle je n'ai pas su résister. Je ferme à l'instant " les lisières". Tout comme Paul qui chemine tel un " wanderer" sans cesse par les rues de son passé, de son présent
et de son avenir,il me faut m' écarter un peu de sa route pour analyser peut-être comment encore une fois et malgré une lenteur de départ mon coeur a cogné si fort par instants.
Ce livre n'arrive dans aucune vie de lecteur au même moment n'est ce pas?
Comme toujours, avec les livres, je ne me suis pas protégée.
Je l'ai pris de plein fouet comme une vague de tempête qui submerge parfois le chemin de la digue de Saint Malo.
Violent, glacé,salé jusqu'à l'os.
Comme c'est bon de se sentir vivant puisque perméable à l'émotion!!!!
vendredi 26 octobre 2012 à 16h54
Bonjour la fée clochette,
merci pour ce commentaire tout droit sorti des tripes et qui contre-balance mon billet. Tu as raison, un "livre n'arrive dans aucune vie de lecteur au même moment". Et la façon dont tu en parles est très belle.
samedi 24 novembre 2012 à 15h34
Je viens de terminer la lecture de Lisières
Je suis très partagée sur ce roman ( un peu de fiction, beaucoup d'autobiographie), il faut lui reconnaître le fait de bien poser les problèmes des (grandes) banlieues, des milieux en difficulté minés par le chomage, les formations scolaires qui l'ont amenés; les non-dits, Par ailleurs je connais bien V.....x, Juvisy et les autres villes autour..
Son style est très <<< Psy >>>, on y retrouve une logghorée avce des phrases sans fin, et par moment des phrases très courtes....
Je ne sais pas s'il va mieux après cet accouchement; personnellement je préfère lire un bon ouvrage de socilogie avec des enquêtes valables ,bien étayées
C'est le premier livre d'Adam que je lis mais surement le dernier
mardi 27 novembre 2012 à 19h49
Bonsoir Martinem!
En lisant votre commentaire je me disais que je n'étais pas revenue après ma vague atlantique pour tenter de commenter ces "lisières". C'est dommage de commencer à lire Olivier Adam avec ce livre. Je garde un très doux souvenir de "Falaises" ....Essayez!
En réalité, "les lisières" est un livre que je n'offrirai pas, ne conseillerai pas, et ne relirai pas...( ce sont pour moi les trois points cruciaux qui qualifient un livre)
Le début est long, et lent, et long et lent....L'écriture peu convaincante, un genre de "blog d'Olivier Adam". Il se couche sur le papier pour éviter le divan?(Pas si sûr!).
Sous fond de Japon ,son histoire d'amour évoque-t-elle son propre tsunami? Une ficelle un peu grosse non? Et puis une complaisance par rapport à lui-même, assez insupportable. J'ai trop senti les mensonges autobiographiques, on n'y croit pas vraiment...(le divorce sonne très faux,la relation avec ses enfants au début notamment).Les règlements de compte politiques (la blonde),ceux contre les non-fumeurs, sont un peu gratuits. C'est un pêle-mêle qui ne convaint pas du tout. On sent Bourdieu simplifié : la bière , le vin , le whisky hiérarchisés; de même pour les instruments de musique , l'attirance pour le piano par exemple; et puis l'inexorable déterminisme social.
A mon sens il n'est pas à la lisière, il est "à côté". Et ce depuis toujours.
Si j'ai été finalement envahie par l'émotion de la narration de cet adulte précoce qui n'a toujours pas réglé son problème de précocité, ce n'est que par des coïncidences troublantes qui rejoignaient des pans de ma vie . C'est tout.
Je conseille vivement à Monsieur Adam la lecture du livre de Monique De Kermadec:"l'adulte surdoué".
Mais combien j'aimerais qu'il nous charme à nouveau comme il a su si bien le faire précédemment, et qu'il retrouve son style nostalgique et tendre qui a conquis un si large public.
mardi 27 novembre 2012 à 22h21
j'écris toujours trop vite....il faut lire un pêle-lêle qui ne convainC pas du tout...
J'en profite pour dire toute mon admiration pour les analyses des uns et des autres sur ce blog. ... et je réclame votre indulgence pour ma "spontanéité dysorthographique!"
mercredi 28 novembre 2012 à 06h44
Bonjour la Fée clochette,
et merci pour ce retour. Ce qui me marque d'abord dans vos commentaires, c'est l'évolution de votre perception de ce roman.Votre regard aujourd'hui, après "digestion", est beaucoup plus critique. Mais aussi plus argumenté. Et c'est d'autant plus intéressant, que contrairement à moi, vous avez lu les autres romans d'Olivier Adam.
Je me permets aussi de faire écho à un commentaire laissé sur un autre billet. Vous avez repéré des manques sur Biblio ? Des auteurs non encore chroniqués ? Vous avez raison ! Et si vous nous rejoigniez dans l'équipe pour en parler à votre tour ?
Au plaisir de vous lire régulièrement.