Voici d'abord ce que vous ne trouverez pas dans Décapage : des critiques sur les dernières parutions,  des interviewes ou des dossiers littéraires. Mais alors, de quoi est donc fait cette revue ?

Créée par Jean-Baptiste Gendarme en 2001, cette revue se découpe en quatre parties, exclusivement alimentées par des écrivains et des illustrateurs : Les Chroniques, La Thématique, La Panoplie Littéraire et Les Créations.

Dès les premières pages, le lecteur comprend qu'ici les esprits chagrins ne sont pas les bienvenus : avec humour et légèreté, le rédacteur en chef présente son équipe et tous les avantages que vous trouverez à lire Décapage. Viennent ensuite Les Chroniques. Pour ce numéro 45, vous pourrez lire dans le désordre un extrait du journal de Serge Joncour au moment du dernier Salon du Livre, une lettre d'Arnaud Cathrine à Roland Barthes, un compte rendu irrésistible de Romain Monnery sur sa participation à des ateliers d'écriture, ou encore l'hommage à Bourdieu d'Olivier Adam. Les écrivains se livrent sans fard et avec souvent beaucoup d’auto-dérision et invitent le lecteur à traverser le miroir.

La seconde partie, thématique, propose cette fois-ci aux auteurs participants de revenir sur leur souvenirs de promo. Après un rappel historique des débuts de cet exercice si particulier, Jean-Philippe Blondel, Philippe Jaenada, Lydie Salvayre, Patrick Goujon, Emmanuel Adely, Iegor Gran ou encore Yannick Haenel nous racontent quelques épisodes mémorables : la joie du premier roman, les déconvenues de salons de province, les invitations médiatiques, mais aussi les rencontres émouvantes et les instants magiques. Si l'on rit beaucoup en lisant les mésaventures des uns et des autres, il y a aussi des scènes très émouvantes, comme cette matinée dans la salle G229 d'un lycée de Troyes.

Vient ensuite la partie centrale de la revue, La Panoplie Littéraire. À chaque numéro, un auteur est invité à livrer ses souvenirs, ses archives, ses amours littéraires. Pas d'interview ou d'analyse extérieure, mais une carte blanche offerte à un auteur. Dans ce numéro, c'est Véronique Ovaldé qui s'est prêtée à l'exercice, et c'est un vrai plaisir. Elle nous parle de ses romans bien sûr, mais aussi de son rapport au langage (paternel) et de ses racines espagnoles, de sa géographie urbaine et fictive, de son admiration pour les femmes fatales, de l'importance de la lecture et de l'écriture dans l'expression de l'indicible, ou encore des tabous en littérature. Au-delà des mots, il y a aussi le plaisir des yeux : on découvre ainsi des copies de ses manuscrits et cahiers de notes. Aucune intervention extérieure ne vient interrompre cette confidence entre la romancière et le lecteur et on a ce sentiment étrange d'avoir passé l'après-midi dans le salon de Véronique Ovaldé.

Enfin, la dernière partie est consacrée à la fiction et à la création, avec pour cette parution des nouvelles de Vincent Wackenheim, Christian Garcin, Thomas Vinau, Didier Retail ou Will Cuppy.

Mais voilà, après vous avoir dit tout cela, il me semble que je passe à côté de l'essentiel. Ne dire que cela, c'est oublier tous les petits clins d'œil disséminés au fil des pages ; c'est oublier la grande qualité et diversité des illustrations ; c'est oublier encore l'élégance de la maquette et du papier ; mais c'est oublier surtout le plaisir de la lecture.

Car Décapage se lit et se déguste comme un bon roman ! Et c'est sans aucun doute ce qui m'a le plus étonnée et séduite. Je me suis littéralement plongée dans ce numéro et n'en suis ressortie qu'après avoir tourné la dernière page. Il y avait bien sûr la joie de retrouver la plume de bon nombre d'auteurs connus de ce blog. Mais il y avait aussi cette sensation très agréable de partager avec eux un moment de confidences littéraires, en toute simplicité.
J'ai découvert cette revue, un peu par hasard il y a quelques semaines, en flânant à la librairie, et je me demande comment j'ai pu passer à côté pendant plus de 10 ans. Une chose est sûre, je ne passerai pas à côté des prochains numéros, et je pousserai peut-être même le vice jusqu'à acquérir d'anciens numéros. Et comme pour un bon roman, je sens que je prêterai souvent mes exemplaires.

Laurence

Extrait de La panoplie littéraire de Véronique Ovaldé:

Quand j'étais gamine, j'étais un vieil écrivain alcoolique avec un chapeau mou et de l'emphase plein les bottes.
J'écrivais des chose de ce genre : "Ma voiture ressemble à une grosse bête ventrue et fatiguée, à un animal préhistorique arrivé, essoufflé, au terme de son périple terrestre." (Oh mon Dieu) "Lily vivait de l'argent que les hommes voulaient bien lui donner pour voir ses jambes. Je me souviens d'un type qui avait écrit quarante-sept poèmes sur celles-ci." (Mon Dieu mon Dieu.)
Et puis il y a certaines premières phrases troublantes parce que incroyablement familières : "Il s'agissait d'une toute petite ville dont j'ai perdu le nom. Elle était sur la route de la mer. Celle qui se trouve derrière les montagnes et les terres rouge."
J'avais déjà rassemblé une grande partie de ma panoplie - mon armure complète de chevalier ou mon déguisement de Wonder Woman taille huit ans. Il s'agissait à cette époque de mimer ou singer. Je pillais la bibliothèque municipale et je m'attelais à mon apprentissage.

Décapage
Décapage # 45 (automne-hiver)
- Éditions Flammarion  - 160 pages