Échappée, on ne sait comment, du ruisseau et des trottoirs gras de Paris, Nana est maintenant bien loin de la boutique de ses parents, disparus à la fin de L'Assommoir. Alors qu'elle triomphe dans le théâtre de Bordenave, les hommes se pressent dans son salon, impatients de se frotter à ses jupes. Dans son appartement, c'est tout un monde de grues qui se donnent des airs, qui se chamaillent et se disputent les attentions des hommes.
Nana est très demandée, très désirée et bien incapable de se satisfaire d'un seul homme. Si elle laisse le comte Muffat l'entretenir, elle ne peut s'empêcher de tomber dans d'autres bras. Cette belle fille blonde et grasse qui excite tous les appétits bourgeois de Paris a parfois des envies de salissure et serait prête à tout abandonner pour une tocade. Et tu te ruines pour un oiseau pareil ; oui, tu te ruines, ma chérie, tu tires la langue, lorsqu'il y en a tant et des plus riches et des personnages du gouvernement.
(p. 243) Alors qu'elle est prête à retourner au ruisseau, Nana a des rêves d'honnêteté et de puissance. Elle se voit en grande bourgeoise qui donne le ton, en femme du monde à qui personne ne refuse rien. Elle triomphe au champ de courses, sous les yeux de l'Empereur et des hauts dignitaires français. Pour assurer son train de vie, elle essore ses nombreux amants et les hommes sont bienheureux qu'elle accepte de les ruiner. Un homme ruiné tombait de ses mains comme un fruit mûr, pour se pourrir à terre, de lui-même.
(p. 405) À Paris, il est du dernier chic de se faire rincer par la belle Nana. Pour elle, les hommes volent, mentent, se suicident, renient leurs principes et piétinent leur vertu.
Enragée de luxe et de splendeur, cette sublime prostituée est folle de désir pour des plaisirs dégoûtants qui lui font croire qu'elle est libre. Aidée de Zoé, sa rusée femme de chambre, Nana fait défiler les hommes et les femmes dans ses salons, orchestrant le plus fabuleux vaudeville de Second Empire. Chez Nana, l'amant n'est pas sous le lit : il fait antichambre pendant qu'une canaille se vautre dans les draps et les dentelles. Les acteurs, les journalistes, les banquiers, les nobles, tout le monde se presse chez la plus grande cocotte de Paris. Pendant ce temps, Madame se donne sans honte dans le lit d'un client, parce qu'il faut bien payer le boulanger. Et quand, finalement, Nana perd tout, la France déclare la guerre à la Prusse. L'entrée de ce nouveau personnage va faire bouger le Second Empire.
Que j'ai aimé cet épisode des Rougon-Maquart ! Cette Nana ne manque pas de panache, ni de ressources. Sous des dehors superbes, ce personnage incarne toute la pourriture de la lignée. Son fils Louis est l'aboutissement d'un sang faible et vicié. Peu à peu, Zola élague l'arbre généalogique et fait tomber les branches pourries. On se demande toujours si le prochain printemps verra fleurir un nouveau Rougon ou un nouveau Macquart. La suite au prochain volume !
Du même auteur : Naïs Micoulin, Comme on meurt
Extrait :
Une jeune fille, née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu’une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Avec elle, la pourriture qu’on laissait fermenter dans le peuple, remontait et pourrissait l’aristocratie.
Nana d'Émile Zola - Éditions du Livre de Poche - 512 pages
également disponible en téléchargement gratuit.
Commentaires
vendredi 26 octobre 2012 à 14h32
Merci de nous faire rêver, bonne fin de semaine, Pascal, journaliste.
vendredi 26 octobre 2012 à 18h16
Zola... que de souvenirs ! J'ai découvert la série des Rougon-Maquart avec l'Assommoir et Au bonheur des dames grâce à mon professeur de français de 4ème. Quel choc ! Quelles émotions ! Je ne l'en remercierai jamais assez. Mais de tous les romans, c'est sans doute le personnage de Gervaise pour lequel j'ai le plus de tendresse.
samedi 27 octobre 2012 à 08h59
Gervaise est très attachante, mais je préfère Angélique dans "Le rêve" : elle s'élève au-dessus de la crasse, tout en douceur.
samedi 27 octobre 2012 à 09h55
J'ai beaucoup aimé cet opus des Rougon-Macquart. Zola y déécrit un jeu de massacre de ces hommes tous attirés irrésistiblement par une femme, au point de se mettre en danger. C'est savoureux à lire, de nombreuses images restent en tête.