Elle joue fait entrer en résonance le récit d'une jeune actrice iranienne n'ayant connu d'autre régime que la République Islamique et les souvenirs d'une autre Iranienne, installée en France depuis trente ans.
Le sujet principal de ce roman est l'histoire de Sheyda Shayan. Enfant, elle apprend le piano. Sa mère la destine à une grande carrière. Elle cherche à s'évader. S'inventant un double masculin, elle se travestit pour échapper à un monde dans lequel les cheveux des filles doivent rester couverts. Finalement, elle n'ira pas en Autriche perfectionner son piano, mais elle jouera dans des films iraniens. Engagée pour tourner dans un film hollywoodien, ce qu'aucune actrice iranienne n'avait fait avant elle, elle reste conditionnée par les interdits assimilés en Iran. Est-il possible qu'elle laisse la caméra filmer son doigt effleurant le corps de la star américaine. Comment le régime accueillera-t-il cette initiative de tourner un film chez l'ennemi ?
Pour l'éditeur, le livre appartient au genre roman
. Le nom
Sheyda Shayan
est en effet fictif, mais il est permis de penser
qu'en dehors de ce changement de nom, tous les faits relatés dans ce livre
sont authentiques. Il n'est pas difficile de trouver une actrice iranienne
ayant eu un parcours très semblable à la jeune femme du roman. La
narratrice est par ailleurs l'auteure elle-même. C'est la construction-même
de ce livre qui est mise en scène. On voit ainsi apparaître l'idée de faire
d'une de ses amies le personnage de son prochain roman, et plus loin
l'auteure racontera ses séances de travail avec l'actrice iranienne exilée
en France. Tout en faisant la biographie de son amie, Nahal Tajadod insère
avec tact des souvenirs d'enfance, des commentaires et des réflexions.
Au-delà du récit d'un destin individuel particulier, ce livre permet au lecteur occidental de mieux comprendre l'Iran. Il est bien sûr question des changements opérés depuis la Révolution, comme l'application stricte de préceptes censément religieux (notamment ceux visant les femmes et les arts), mais l'auteure semble également s'être donné pour but d'expliquer quelques particularités perses : des façons de penser, des expressions, des références culturelles, des lieux, etc. L'auteure étant spécialiste du poète Roumi (je l'ai d'ailleurs vue prononcer quelques uns de ses Chants d'amour dans l'espace vide du Théâtre des Bouffes du Nord il y a trois ans), certains de ses textes feront écho au récit de Sheyda. On verra aussi des parallèles avec les aventures de Haroun al Rachid.
L'évolution des personnages secondaires appartenant à l'entourage de Sheyda contribue aussi à faire percevoir toute la complexité du sujet de ce roman et du pays où il se situe. Toutes ces mises en contexte du récit enrichissent beaucoup ce livre. J'ai rarement lu de romans qui aient suscité en moi autant d'envies d'en savoir davantage sur des sujets aussi divers. Je connaissais déjà un peu le bahaïsme grâce à mes voyages en Inde, mais ce livre est le premier dans lequel se trouvent des personnages appartenant à cette religion (née en Perse où elle fait l'objet de persécutions). J'ai été bien plus étonné des références au théâtre de Grotowski et de son prodigieux acteur Ryszard Cieślak (qui joua le rôle de Dhritarashtra dans Le Mahabharata de Peter Brook).
(Les avis des autres membres du jury des Biblioblogueurs en suivant ce lien et ceux du jury des lecteurs dans les commentaires du billet)
Extraits :
Un miroir, évidemment. Elle est devant moi comme un miroir. Je me regarde en elle. Par moments, je m'y reconnais. À d'autres, ce n'est pas moi. Elle est plus jeune et pourtant plus âgée, elle pourrait être ma fille, mais elle vient d'un monde que je croyais oublié, perdu, et que je retrouve en elle. Un monde revenu de loin et à coup sûr réinventé.
Dans quel sens marchons-nous ? En avant, en arrière ?
Mon miroir — mon très beau miroir — parfois se trouble et même se brise. Il est infidèle et fragile, comme tous les miroirs du monde. Il me livre des révélations qui me font rire et qui me font mal. Il me ment, aussi, je le sais, mais je ne peux pas dire quand ni pourquoi.
[...]
Dans l'atelier de Téhéran, poursuit Sheyda, le jeune metteur en scène analyse toutes les oscillations des mains de Cieslak, qu'il a captées sur Internet : « Regardez bien, dit-il, tout se passe dans cette partie de la main entre le poing et les doigts. Donnez vie à cette partie-là, c'est le cœur de la main, faites-le battre ! » Elle fixe l'écran. Cieslak fait onduler le dos de sa main comme une vague, comme un pont, comme un toit sous le vent. Elle essaie de le copier. Rien à faire. Le dos de sa main n'est pas docile, il n'ondoie pas. Cieslak transmet ce mouvement à un bras, puis aux deux bras. Il sue. Son corps brille. Lorsqu'il déploie ses bras, Sheyda voit des ailes. Elle entend Cieslak dire à ses partenaires : As a bird !
Elle joue de Nahal Tajadod - Albin Michel - 376 pages.
Commentaires
vendredi 2 novembre 2012 à 12h09
je ne connais personne qui ne soit pas tomber amoureux de l'Iran , de sa culture, de sa beauté et qui n'espère qu'une seule chose pouvoir un jour y voir à nouveau la joie de vivre dans les yeux des enfants....
vendredi 30 novembre 2012 à 13h57
Tout à fait vrai, j y suis allé deux fois pour travailler et je suis tombé amoureux, de cette culture,et je souhaite un jour qu on enlève le couvercle et que la Perse rayonne de nouveau.
Le livre de Nahal est une merveille, à découvrir d'urgence, pour comprendre, pour rêver pour espérer ....
vendredi 7 juin 2013 à 13h10
Mon préféré de la sélection. Découverte d'un pays derrière deux destins de femme. Superbe