Sous la plume de l'auteur, les odeurs vêtent leurs plus beaux atours. Les nuages qui frôlent le sol se parent d'impressionnisme : Extracteur à froid de parfums suspendus et potentiels, le brouillard sabote le paysage quotidien pour le donner à voir et à sentir autrement.
Pendant ce temps, l'essence de la mort est plus métaphysique que jamais : Depuis cet instant, je sais que la mort a un parfum d'éther. Et je ne cesse de m'entraîner en vue d'une apnée infinie.
Et comment ne pas balbutier d'émotion devant l'intense lyrisme qui entoure les odeurs du réveil ? Le Cantique des cantiques est transfiguré dans cet entre-deux qui sépare le sommeil de la veille : Avant que mon aimée n'ouvre les yeux, avant même qu'elle ne me voie, qu'elle ne me sourie, ce que je veux étreindre en respirant sa peau et sa chevelure, c'est notre présence commune qui fait de ce réveil le recommencement de notre amour, l'aube ressuscitée d'une durable harmonie.
Comme un alchimiste, Philippe Claudel manipule les essences : il mélange fragrances et puanteurs dans un alambic superbe qui exhale des souvenirs puissants. Il est un chimiste audacieux qui convoque un fromage agressif à côté d'un suave acacia. Parfois épicurien mélancolique, voire nostalgique, il devient jouisseur gourmand et curieux et plonge à plein nez dans les odeurs qui ont marqué sa vie. Dans cet inventaire à la Claudel, nul doute que vous trouverez aussi des parfums familiers.
Faut-il que je vous redise à quel point je suis sensible à la plume de Philippe Claudel ? À mon sens, il est un des plus grands auteurs du 21è siècle, celui que je convoque dès que je doute du futur de la littérature. Pour comprendre et déguster Parfums¸ replongez dans Le rapport de Brodeck où les odeurs de la terre sont plus pures que les émanations des hommes ou visitez Meuse l'oubli pour comprendre le parfum de victoire de l'amour face à la mort. Parfums n'est pas un roman : c'est un subtil recueil d'évanescence, une palette d'impalpable.
Du même auteur : La petite fille de Monsieur Linh, Le monde sans enfants et autres histoires, Parlez-moi d'amour, L'Enquête, Le Paquet, Le café de l'Excelsior
Extrait :
Aussi, lorsque je me réveille et reprends peu à peu ma place dans le monde engourdi, au cœur du matin et d'une lumière naissante, et que mes mains, comme aimantées, viennent effleurer le corps qui repose à côté du mien, et que je sens le chaud de ce corps, son rythme lent de respiration pour peu qu’il soit encore, lui, dans le sommeil, ne se doutant pas que je viens quant à moi de le quitter, je me blottis au plus près, peau contre peau, buvant la tiédeur nocturne enlacée dans le tissu des draps et celui, plus mince et plus léger, de la chemise de nuit qui le revêt, laissant les épaules nues, les bras, la naissance de la gorge sur laquelle mes doigts viennent sentir la vie et le sang qui bat.

Parfums de Philippe Claudel - Éditions Stock - 224 pages
Commentaires
lundi 5 novembre 2012 à 07h48
À l'occasion, je vous présenterai mon avis sur Le rapport de Brodeck ou sur Meuse l'oubli. Ce sont deux très beaux romans.
mardi 6 novembre 2012 à 07h04
Merci Lili pour ce billet. En voyant le titre, j'ai immédiatement pensé à l'autre Parfum, celui de Süskind. En tout cas, cet abécédaire olfactif est bien tentant...
mardi 6 novembre 2012 à 07h41
C'est vrai qu'il pourrait y avoir une ressemblance, mais la façon d'aborder les odeurs est tout à fait différente. Süskind fait des parfums des accessoires, alors que Claudel les présente comme des essences.