C'est un lycée de banlieue comme il y en a beaucoup autour de Paris, un lycée « difficile » selon le journal télévisé, un lycée ZEP comme on a dit à un moment, « Ambition réussite » maintenant, parce que ZEP est devenu stigmatisant et parce qu'il y a moins de moyens ; un lycée qui fait frémir les jeunes profs venus de Paris ou de province et leurs familles au moment des mutations, avec un petit soulagement quand même parce que c'est pas un collège ; un lycée du 93 […]

C'est donc dans ce lycée que Sylvain Pattieu a planté le décor de la première partie de son roman en multipliant les formes narratives : écriture épistolaire, journal intime, fiches de signalisation, narrations à la première personne, focalisation omnisciente. L'auteur nous décrit le quotidien des profs et des élèves ; le chahut, les petites et grandes victoires, les défaites et les désillusions.  Au milieu de tous ces visages, 3 d'entre eux ressortent plus particulièrement : Bintou, Alima-Nadine et Kevin.

Kevin, c'est le jeune prof d'histoire-géo, débarqué là quelques années auparavant mais qui a dû mal à gérer une rupture amoureuse.  Il le sait bien, depuis quelques semaines, il ne consacre plus toute son énergie dans les cours. Dans un autre lycée, ça pourrait passer inaperçu. Mais ici, la moindre faiblesse peut rapidement provoquer un cataclysme.
Bintou et Alima sont lycéennes. Issues toutes deux de l'immigration, elles ont des parcours on ne peut plus différents. Alors que Bintou joue les durs et les provocatrices, Alima-Nadine rêve de rentrer à Science Po. Elle a d'ailleurs toute ses chances et consacre tout son temps à préparer de front son bac et le concours d'entrée de la prestigieuse école.
Comme on pouvait s'y attendre, ces trois destins vont se percuter et les dégâts seront irrémédiables.

Commence alors la seconde partie, très différentes de la première. Nous voilà en plein Paris, dans le magasin d'une grande marque, Décora, une petite sœur fictive d'Ikea. La narration, menée principalement par Aziz, le vigile, nous conte par le détail les méthodes plus ou moins contestables de l'entreprise pour gérer ses équipes. De temps à autre, Sylvain Pattieu intercale dans son récit les fiches mémo à destination des employées. Du débriefing le matin, en passant par les humiliations quotidiennes, sans oublier les guerres internes des petits chefaillons ou le découragement de la seule syndiquée de l'enseigne, le management moderne n'a rien à envier au petit magasin des Bonnes femmes auquel cette partie rend hommage.

Voilà un roman assez étrange.
Sur le fond, Des impatientes ne se positionne pas du tout sur le même champ que Entre les murs (et tant mieux). Sylvain Pattieu a voulu nous offrir un autre regard sur la banlieue et le monde du travail. En optant pour des caractères si opposés, il donne la possibilité à Bintou et Alima de nous livrer chacune une vision très différentes du même quotidien. Et que ce soit entre les murs d'un lycée ou celui d'une entreprise, les perspectives de futur ne sont pas bien brillantes quand on vit dans le 93. Le point de vue d'Aziz, personnage ô combien attachant, est une autre des bonnes trouvailles de ce roman. Lui, l'immigré sur-diplômé obligé d'accepter des contrats de vigile faute de mieux, lui timide au grand cœur, pose un regard neuf sur nos deux jeunes femmes et leur donne ainsi l'opportunité de s'inventer un autre destin. On appréciera également, à l'instar de Tatiana Arfel dans Des Clous, Sylvain Pattieu dissèque les rouages de l'entreprise. Le choix des grands magasins est particulièrement intéressant, notamment pour le sort qui est réservé aux femmes (temps partiel, emploi précaire, harcèlement, dédain des clients pour les caissières, etc.).

Plus que le fond, ce qui déroutera sans doute le plus les lecteurs, ce sont les choix narratifs. En multipliant les formes et les styles, Sylvain Pattieu prend le risque d'agacer ses lecteurs. Il y a d'excellentes trouvailles, dont cette plongée dans les entrailles du lycée, qui rend avec une grande justesse l'impression de fourmillement et de diversité. Ces trois chapitres, intitulés respectivement « Le lycée », « Les couloirs » et « La salle des profs », sont de vrais petits bijoux cinématographiques. Le lecteur est embarqué dans un travelling à couper le souffle :

Devant les grilles, dans la cour, dans les couloirs, à l'intérieur des salles de classe, ce sont des corps qui se frôlent, s'entrechoquent, se testent, se serrent, se cognent, s'embrassent, se regardent explosent, une densité et une proximité comme jamais sinon sur la plage, mais certains n'y sont jamais allés. Ce sont des corps et des esprits entre quinze et vingt ans, qui changent, grandissent, poussent et se développent : formes qui se confirment, voix qui muent, coiffures qui se dessinent savamment ou se sculptent au gel, maquillage muscu fringues mode. C'est un ballet sans chorégraphie, corps bien rangés dans les classes, anarchiques dans la cour et les couloirs. On se tape poing contre poing, chek, on s'embrasse, on se saute dans les bras, on se chatouille,  on se baffe, on se court après, on se rattrape et on se pousse, on s'ignore MP3 dans les oreilles et regard dans le vide.

Mais il y a aussi des tentatives qui laissent plus dubitatif, comme ces fiches de signalement qui paraissent un peu anecdotiques ou encore le parti pris pour l'expression de Bintou, qui même s'il peut se justifier, semble un poil trop artificiel. Dans l'ensemble, et malgré ces tentatives réitérées de jouer sur le langage, il manque paradoxalement à ce récit une langue réellement littéraire.

Des impatientes est donc un premier roman intéressant et prometteur malgré ses maladresses stylistiques.

Du même auteur : Le bonheur pauvre rengaine

Laurence

Extrait :

Bintou

J'étais souvent en retard, fallait aller voir le CPE pour entrer, c'est la haine, déjà je me lève et en plus ils m'empêchent d'aller en cours pour cinq minutes, alors quoi. J'avais toujours une disquette à leur raconter mon petit frère à amener à l'école ma mère malade j'ai vomi ce matin ou alors j'ai raté le bus mais au bout de presque quatre ans là-bas, deux secondes une première et là la terminale, ça passait plus. Enfin ça dépendait sur surveillant, quand c'était Rachid ou Latifa ils me faisaient mon mot steuplé pour rentrer en cours. Et alors là le prof il pouvait m'accepter ou pas et ces connards ils me faisaient souvent chier.
Mme Charlier elle voulait que je sorte mes cahiers mais j'en ai pas, qu'est-ce qu'ils croient, moi j'ai pas de cartable j'ai un sac à main, je suis pas une clocharde, je pouvais pas y mettre un cahier ou un livre dedans ça déforme. J'ai pas choisi d'y aller dans cette classe pourrie dans ce lycée pourri les profs là ils m'aimaient pas, c'est sûr ils pouvaient parler je m'en battais les couilles.

Des impatientes
Des impatientes
de Sylvain Pattieu - Éditions du Rouergue  - 249 pages