Suit une première partie en dix chapitres placés sous le signe des dix Sephirot de la Kabbale, symboles d'une quête vers une sagesse qui échappe totalement à Alex- Li, toujours entre deux alcools, deux joints quand ce ne sont pas les drogues dures. Sa vie chaotique s'appuie tant bien que mal sur ses trois amis d'enfance, aussi paumés que lui, et sa petite amie Esther. Traumatisé par la mort de son père alors qu'il n'avait que 12 ans, Alex-Li se réfugie dans son commerce plutôt prospère d'autographes et surtout dans sa passion dévorante pour une star américaine fugace des années cinquante, Kitty Alexander, ce qui lui évite de trop s'impliquer sentimentalement et dans la vie réelle.
Mais un jour, au bout de treize ans de correspondance à sens unique avec la star, il reçoit d'elle une photo dédicacée, qui vaut de l'or car les autographes de Kitty Alexander sont rares sur ce marché très spécial. Électrisé, Alex-Li saute dans un avion pour voir l'objet de ses fantasmes à New-York. Ce qui nous mène à la deuxième partie, sous le signe du Tao, en dix étapes qui, selon les principes zen, conduisent à la réalisation de notre vraie nature
. À New-York Alex-li rencontre des personnages aussi déjantés que ceux qu'il côtoie d'habitude à Londres, et fait la connaissance de Kitty en chair et en os.
Le retour, doux-amer l'obligera à regarder la réalité en face et à mûrir enfin, lorsque, poussé par ses amis et sa mère, il récitera le kaddish - la prière des morts - sur la tombe de son père.
À travers les aventures d'Alex et de ses amis, la jeune romancière anglo-jamaïcaine Zadie Smith, dont c'est le deuxième roman, rend compte avec une terrible lucidité et un humour ravageur, des mutations et des contradictions d'une génération qui ne sait trop où elle va, prise entre recherche de croyances, désirs d'une célébrité facile, et formatée aussi par la télévision et la publicité. Un livre drôle et tonique malgré tout, ceci du à la vitalité dont fait preuve l'auteure, au style inventif et percutant, qui est pour beaucoup dans sa réussite.
Marimile
Du même auteur : Changer d'avis.
Extrait :
Le patchwork automnal s'éloigne (l'Angleterre est toujours automnale vue d'en haut) ; ils sont à présent au-dessus des nuages. Alex, assis dans l'avion, s'imagine vu par un enfant assis dans une voiture, qui s'ennuie et regarde en l'air. Ils devraient échanger : cet avion est conçu pour les très jeunes et ceux qui s'ennuient beaucoup. Tout ce qu'on exige d'Alex pendant les six heures et demie à venir, c'est de manger, de regarder la télévision et de s'endormir pendant quelque temps. On souhaite tout cela si intensément pour lui, de lui. Personne n'a désiré si ardemment son confort et son sommeil depuis qu'il est bébé.
On fait tout ce qui est possible pour lui donner la sensation qu'il ne se passe rien de sérieux, comme par exemple qu'ils sont en train de voler. A aucun moment on ne laisse entendre que lui et quatre cent autres inconnus à l'état mental indéterminé sont coincés dans un aéroplane de 400 tonnes qui vole à trente-cinq mille pieds au-dessus du sol en se fiant à des équations d'énergie et de vélocité que personne à bord ne saurait esquisser, même sous leur forme la plus rudimentaire. Tout dans cet avion est une interface, comme les fenêtres d'un ordinateur. Rien dans cet avion n'a le moindre rapport avec la navigation aérienne, de même que son ordinateur n'a rien à voir avec le traitement de données. De jolies petites images. De merveilleuses histoires distrayantes à se raconter entre nous. Si Alex se penche suffisamment vers le couloir central, il peut avoir un aperçu de la réussite de cette illusion : cette expérience soi-disant intime qu'il est censé vivre est dupliquée à perte de vue. Les mêmes repas, les mêmes détritus (la chaussette manquante, le bic cassé, la couverture entortillée, le verre en plastique proprement explosé), la même inclinaison, le même écran télé montrant le même père et le même fils jouant au ballon, la même protection vigilante de son espace privé. Dans ce contexte, quitter l'interface, traverser la ligne blanche est carrément inimaginable.
L'homme à l'autographe de Zadie Smith - Éditions Folio - 496 pages
Traduit de l'anglais par Jamila et Serge Chauvin
Commentaires
jeudi 22 novembre 2012 à 18h07
Da Zadie Smith je connaissais "Sourires de loup" plein d'énergie.
Il y a beaucoup à apprendre de ses auteurs de langues britanniques originaires de pays lointains. En lisant ce billet, je pensais aussi à Hanif Kureshi et à son "Bouddha de banlieue" qui raconte les tribulations d'un jeune anglais, d'origine pakistanaise, dans le Londres des années 80.
Une littérature anglosaxonne irriguée par ses anciennes colonies, un peu comme nos auteurs francophones en provenance des DOM TOM : une langue renouvelée et revisitée dont il y a tout lieu de se réjouir.
jeudi 22 novembre 2012 à 20h39
Tout à fait d'accord:je trouve que ces auteurs apportent une énergie qui revitalise nos littératures européennes. Tu cites les auteurs francophones, on peut penser aussi aux écrivains des pays d'Afrique lusophone-Angola ou Mozambique qui font de même pour le portugais. Je prends note du "Boudha de banlieue" d'Hanif Kureshi.
vendredi 30 novembre 2012 à 14h57
J'avais beaucoup aimé "De la beauté", le style de l'auteur m'avait particulièrement charmée. Je suis parfois un peu saturée par les histoires de paumés, mais pourquoi pas ...