Est-il bien raisonnable d'empiler autant de niveaux d'affabulation dans un roman, surtout s'il s'agit d'un court roman ? Le livre est une fiction, qui commence par mettre en scène une jeune femme qui semble enfermée dans son monde intérieur. Peut-elle en sortir ? Elle raconte ensuite, à moins qu'elle n'affabule, qu'elle emménage dans un appartement (et pour pouvoir le louer, elle a dû raconter des histoires à l'agent immobilier...). De là, elle observe son couple de voisins. Ces deux-là sont-ils réels ? Par ailleurs, elle croit découvrir l'existence d'un demi-frère qui serait en prison. Cet homme avec qui elle prétend correspondre existe-t-il ? Si oui, est-ce bien son demi-frère ? Et cetera, et cetera. Cette tendance à fabuler n'est d'ailleurs pas concentrée dans le seul personnage de la narratrice...
Si on pouvait un seul instant espérer que cette histoire ne fût pas du
fictif dans du fictif dans du fictif... la phrase mise en exergue à ce
livre La réalité est une invention de l'écriture pour y échapper.
,
attribuée à un illustre inconnu, écarte définitivement cette possibilité,
d'autant plus que cette citation est bien entendu apocryche.
Si le style est indubitablement recherché et plutôt agréable à lire, les développements de la narration ne m'ont guère intéressé. Le voisin artiste de la narratrice exerce un travail lui aussi assez fictif, puisqu'il conceptualise des œuvres éphémères que personne n'aura pu observer, à part peut-être lui-même, et encore, seulement de façon très fugitive. Pense-t-on vraiment choquer en évoquant une autre partie de son travail, dans lequel il crée des œuvres d'art à partir de cadavres ?
Ce qui me gêne surtout dans ce livre, c'est que plusieurs voies narratives sont ouvertes simultanément et sont à mon goût insuffisamment explorées. S'y engouffrer aurait peut-être été prendre le risque d'être substantiel et donc de contredire le concept du livre : l'inexistant dans toutes ses formes. Si l'idée du livre était séduisante, je ressors néanmoins assez déçu de cette lecture.
Du même auteur : Alice Kahn.
Extrait :
Je cherche la bonne distance, une distance, un espace entre la vie et la représentation de la vie, qui ne soit ni le rêve, ni une image mais qui se situerait entre le rêve, l'image, le cœur et l'expression, qui se passerait d'expression, mais qui ne serait pas le silence.
Fermer l'œil de la nuit de Pauline Klein - Éditions Allia - 127 pages.
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