Carole Fives installe son histoire dans le début des années 80. Les divorces ne sont pas encore monnaie courante, c’est la vague qui suit la révolution de Mai 68, on est libres de vivre ou non avec celui ou celle avec qui on s’est marié. Mais on le paye cher.

Carole Fives raconte ces premiers déchirements entre père et mère, mais surtout les conséquences négatives sur les enfants. L’histoire est racontée par la grande sœur, la principale victime est le petit frère, trop jeune pour comprendre ce qui se passe mais le sujet principal est la fratrie, celle que finalement la sœur ne vivra jamais vraiment. 

Le roman commence sur l’annonce du divorce aux enfants, un dimanche de Pâques à Hardelot en bord de mer. La scène est vue tour à tour par les enfants : c’est tout d’abord la vision du petit frère, auquel la sœur s’adresse en imaginant ce qui se passe dans sa tête :

Tu es à la plage, enfin plutôt dans une chambre d’hôtel, face à la plage, à la mer, comme tu veux, et il bruine. Tes parents ont quelque chose à t’annoncer. A voir leurs têtes tu comprends que l’heure est grave. (…) Quelle arnaque. T’as huit ans et t’as droit à tes œufs en chocolat. T’as huit ans et bientôt tu vas entendre la nouvelle qui va te coincer les mots dans la gorge pour longtemps

Viendra ensuite la parole du père, de la sœur et de la mère. 

Par l’utilisation régulière du « tu », la sœur poursuit en tentant d’imaginer comment son petit frère a vécu les évènements : la vie avec le père, la mère qui assaille son fils de questions dès qu’il revient de chez son ex-mari, la mère qui est complètement déprimée, la mère qui passe des disques comme ce titre : « Que nos vies aient l’air d’un film parfait ».

L’auteure donne la parole tour à tour à tous les personnages – excepté le petit frère dont on ne saura jamais comment il vit les événements, sauf à la toute fin.

Et puis il y aura la phase où l’on se répartira les enfants comme des meubles : la fille avec le père (la mère ne l’a jamais supportée) et donc l’enfant comme un trophée pour la mère.

La mère, elle, est profondément dépressive, et le fils est l’objet d’un horrible chantage affectif : Ta mère supplie, « Suis-moi mon chéri-je n’ai que toi-je vais me tuer si tu ne reviens pas-mon chéri-mon chéri .

Dans la deuxième partie, Sud, la mère est partie vivre dans une communauté dans le sud et fait pression pour obtenir la garde de son fils et la grande sœur va être l’instigatrice de ce changement : c’est elle qui convie son frère d’écrire une lettre dans laquelle il demande à vivre avec sa mère. La procédure fait le reste. Ne restera que la culpabilité :

Et moi je me croyais seule, comme je l’avais toujours été dans cette famille qui n’en était plus une depuis longtemps, et je t’ai vendu petit frère. J’avais douze ans et je n’ai pas résisté. J’ai bradé notre enfance.

En trois parties suivies d’une postface (où on entendra enfin la voix du petit frère exilé très loin de la famille) l’auteure aura donc réussi à nous plonger dans les affres d’un divorce qui fait des ravages. En donnant la parole tour à tour aux trois protagonistes son style est empreint d’oralité à la manière d’un documentaire qui raconterait un drame familial. 

C’est tout l’intérêt et la limite de ce roman : plongés dans le réel, nous avons plus l’impression d’être dans un documentaire social que dans la littérature. Privés de distance avec le récit, celui que permet l’écriture, nous assistons là à un témoignage sur un naufrage familial, mais qui paradoxalement ne parvient pas à nous émouvoir faute d’écriture.

Dommage, parce que Carole Fives tient son sujet et sait faire revivre une époque révolue. A l’opposé de son titre, son roman en puisant dans l’oralité raconte des vies qui ont l’air d’un très mauvais film tragique, et dont on ressort sans espoir comme si on avait visionné un documentaire social sur un sujet qui ne s’est guère amélioré depuis. Dommage.

Alice-Ange

Extrait :

Tu n’es pas le premier ni le dernier, des milliers peut-être, des millions après toi, tu es juste au début d’une longue série mais, dans ta nouvelle école, tu fais encore figure d’exception et le jour que tu redoutes le plus, c’est celui de ton anniversaire, le moment où la maîtresse indiquera sur la frise punaisée au-dessus du tableau, « mais c’est l’anniversaire de Tom aujourd’hui », les regards intrigués des autres, déjà déçus parce qu'ils ont beau chercher des yeux le cake recouvert d’aluminium et les sachets de bonbons sur le bureau de la maîtresse, ils ne voient rien, pas même un quatre-quarts industriel sous cellophane comme pour la petite Jo dont les parents n’ont pas les moyens, d’accord, mais ils le font quand même, eux, le minimum. Tu te sens humilié et lorsque c’est l’anniversaire des autres, tu n’apprécies pas le goût de leurs gâteaux, comme si tu n’y avais pas droit, comme si tu avais usurpé ta place parmi eux. Tu es devenu un enfant dont on ne s’occupe pas, c’est peut-être un enfant qui ne mérite pas qu'on s’occupe de lui.

Que nos vies aient l'air d'un film parfait
 Que nos vies aient l'air d'un film parfait de Carole Fives - Éditions du Passage - 119 pages