Le Régiment noir dessine un parcours initiatique à travers la violence et la guerre. Pierre doit quitter son pays, rompre dans la colère avec sa mère, pour s'inventer lui-même dans l'action. Au péril de sa vie, Johnson rejette l'esclavage, se lie d'amitié avec Pierre et devient avec lui un homme des canons. Ils vont former un régiment d'anciens esclaves et après des années de lutte voir se rapprocher la victoire. A ce moment des événements, une blessure de Pierre, un combat où Johnson est fait prisonnier, vont les séparer. Au début, leur initiation n'est pas individuelle mais collective. Ils vivent avec le régiment et dans son sein les épreuves de la guerre et les transformations qu'elle exige de tous.
Pierre et Johnson vont s'épauler, grandir ensemble, être si proches que Pierre va penser aussi comme un noir, lutter pour arriver à leur but, la fin de l'esclavage, passer outre leurs colères intérieures. Pour se faire, ils vont créer le premier régiment noir d'artilleurs. De grands et habiles manieurs de canons. Le Père Pierre en aurait été fier.
Ensemble puis séparés, ils vont s'enrichir de rencontres avec d'autres et notamment : le célèbre et valeureux général confédéré Stonewall Jackson, Burlington du côté des Nordistes, le chef indien Ti-Kou et sa sublime fille Shenandoah, sans oublier la douce et sage Mlle Mérence.
Comment parler de ce roman si prenant, de ces vies qui vous accompagnent tout au long de votre propre évolution au fil de vos nombreuses lectures. Car Le régiment noir est une de celles qui vous font grandir. Henry Bauchau s'adresse à tous, en un langage universel. Il nous pousse subtilement à faire ce voyage intérieur si essentiel. Chacun y trouve forcément son compte au moment où il est prêt.
J'aurai pu aussi vous parler de cette nature si présente tant à Sainpierre où Pierre a grandi auprès de son grand-père, ancien de la Grande Armée de Napoléon qu'au milieu de ces États-Unis naissants.
J'aurai pu développer sur cette guerre de sécession entre Blancs où rien n'est ni blanc ni noir. Où les Sudistes ne veulent finalement que conserver leurs terres travaillées par les noirs, les Nordistes implanter plus loin leur capitalisme féroce et où les Noirs veulent être libres enfin. Mais les Blancs se fichent de l'esclavage, de la ségrégation. Cette guerre-là sera encore bien longue et meurtrière, au désespoir de Pierre.
J'aurai pu relever l'oubli où les Indiens sont poussés, leur génocide, leur résistance désespérée, même si l'auteur s'y attarde peu.
Pour finir, je reprends à nouveau les mots de H. Bauchau : Johnson, Pierre et leurs compagnons du régiment noir, pas plus que Shenandoah ou Mademoiselle Mérence ; je constate avec surprise que le temps ne les a pas éloignés et qu'ils ne sont pas en moi des présences effacées ou ternies. Je les retrouve dans l'ardeur du sang qui fut celle de l'écriture du livre, dans le feu de jeunesse…
A chacune des lectures qu'il fera de ce merveilleux roman, il en sera toujours de même pour le lecteur. Pierre et les autres seront toujours tous là, bien présents, l'aidant à se révéler à soi-même.
A lire encore et toujours.
Dédale
Du même auteur : Antigone, La Lumière d'Antigone, Œdipe sur la route, Déluge, Le boulevard périphérique, Les vallées du bonheur profond
Extrait :
Pendant que je courais les routes avec Leeuw et les lions, le régiment s'est mis en marche, et me cherche, mais nous sommes au sud, bien plus au sud qu'Atlanta, qui doit être l'objectif de Serman. Peut-être sont-ils arrivés au carrefour des Trois Fourches ? Peut-être sont-ils sur la route du marché aux esclaves, ou en train de découvrir les squelettes des prisonniers qu'ils ont achevés. C'est là que va déborder la colère de Pierre. Sa colère native, celle qui n'est pas née durant cette guerre, mais autrefois, à Sainpierre, en suçant le mauvais sein, près du cœur qui ne donnait pas sa chaleur. Alors on souffre et même on a peur, car cette colère n'a cessé de grandir et on sait que Cheval rouge est devenu cruel.
Est-ce qu'on a pensé à haute voix ? Voix de Mlle Mérence, assise en face de vous, avec Valérie : Qui c'est, Cheval rouge ? Question essentielle, comment répondre, comment ne pas répondre, quand tout est si proche et que vous ne pouvez ni le voir ni le sentir, puisque vous êtes encore dedans. Il se tourne vers elle, ses yeux dans les siens qui soutiennent le choc sans ciller : C'est mon ami. Puis après un moment : Mon ami blanc, tu comprends ? On ne sait pas comment elle fait pour saisir ce plein de l'amitié, celui qui emplit toute la forme et ce manque fondamental, depuis Basses Prairies, sans lequel on ne saurait pas, peut-être, que l'on a véritablement vécu. On ne sais pas comment elles font, mais on voit qu'elles comprennent toutes les deux.
Instituteur John parle de Pierre qui est venu de l’autre côté des eaux, avec Wolf et sa jument rouge. De la bataille de Bull Run où ils ont conquis ensemble le premier canon que Stonewall Jackson leur a repris d'un coup de poing. Pierre a aimé Jackson qui était son véritable père, mais celui-ci l'a renvoyé au nord. C'est alors que nous sommes devenus amis et que Pierre s'est mis à penser noir, selon l'ordre mystérieux de Stonewall Jackson. Avec le grand Burlington nous avons, batterie par batterie, formé le régiment noir et Pierre nous a appris à aimer les canons. Nous avons fait plusieurs campagnes et pendant deux ans nous avons toujours été vaincus par Jackson. À Chancellorsville, il a fait fuir devant lui vingt mille hommes, mais Pierre a empêché le régiment de reculer et l'à forcer à s'arrêter. Pendant cette nuit, Stonewall Jackson a été blessé et pendant qu'on le transportait à l'hôpital nous avons tiré sur lui. Stonewall Jackson est mort et depuis ce sont les armées du Sud qui reculent, mais nous avons son sang sur nos têtes.
Nous avons gagné la bataille de Gettysburg et nous avons accepté de partir à l'ouest sous les ordres de Sherman, le lévrier maigre qui n'a pas l'emploi de chevaliers dans son armée. Là nous avons fait alliance avec les Indiens des Prairies, Pierre s'est mis à penser indien et nous avons connu Shenandoah qui est la reine de Saba et la merveille du temps.
Est-ce Shenandoah, demande Mlle Mérence, qui a appelé Pierre Cheval rouge ? - C'est elle, et tout le régiment a fait comme même parce que Pierre est Cheval rouge. - Pourquoi est-il si malheureux ?
Johnson se lève, bouleversé. Est-ce que Pierre est vraiment si malheureux ? Oui, il l'est. Pourquoi, pourquoi ? La réponse est : Parce qu'il croit qu'il faut faire grandir l'injustice pour qu'on ose tirer sur elle au canon.
Le régiment noir de Henry Bauchau - Éditions Actes Sud Babel - 448 pages
Commentaires
mardi 18 décembre 2012 à 12h24
Le noir vous va si bien...bon, je ne connaissais pas ce roman d'Henri Bauchau,mais entre ce que tu en dis et ce que j'ai lu de lui, tellement personnel, pensé et réfléchi dans une belle langue,je vais le mettre dans ma Pal.
mardi 18 décembre 2012 à 13h01
Et même si je trouve que mon billet ne rend absolument pas justice au roman (j'ai pas trouvé les mots
), je crois Marimile, tu feras bien de le lire et de le garder chez toi. Assurément un de ces titres dont on ne peut pas se séparer ensuite. 
mardi 18 décembre 2012 à 16h26
Dédale un billet superbe j'ajoute dès ce soir ce titre à mes envies de lecture merci !
mardi 18 décembre 2012 à 19h19
Merci Sylvaine. Revenez, Mesdames, nous dire si vous avez aimé ou pas
mardi 18 décembre 2012 à 20h40
Je garde un souvenir ému de cette lecture. Dédale : c'était un vrai exploit de parler de ce roman fleuve ! Tu t'en es très bien sortie. Et si on lit le Journal de Henry Bauchau, on apprend aussi comment le livre s'est écrit, avec l'mportance de la psychanalyse pour son auteur. C'est aussi passionnant !
Marimile, Sylvaine : si vous n'avez pas encore lu "Le régiment noir" : précipitez-vous !
Et pour les autres, s'il vous manque une dernière idée de cadeau, n'hésitez surtout pas ...
mardi 18 décembre 2012 à 21h30
Tu es bien bonne, Alice-Ange
Il y a encore tant à dire sur ce roman, ces personnages....
Comme je compte bien tout lire de Henry Bauchau, les journaux me tentent régulièrement. Mais j'ai encore quelques romans et recueils de poèmes en attente. Ahhh, pourquoi le temps manque-t-il toujours autant ?
mercredi 19 décembre 2012 à 10h02
ça y'est! le Régiment noir a été acheté hier!
mercredi 19 décembre 2012 à 11h52
J'en suis ravie, Marimile. Tu reviendras nous raconter après ta lecture, n'est-ce pas ?
lundi 24 décembre 2012 à 10h53
Chère Dédale, bravo et merci !
lundi 24 décembre 2012 à 12h43
Merci, Jnf, et de rien
mercredi 26 décembre 2012 à 18h12
C'est vraiment un grand tour de force que d'avoir ainsi résumé l'oeuvre, sans rien en trahir, et en donnant la quintessence. Bravo Dédale, je souscris complètement à ce qui est dit sur les indiens notamment, autres victimes de la fureur yankee, mais dans l'oeuvre de Bauchau, le chef indien est aussi un traître, à votre avis pourquoi ?
Un autre sujet d'admiration pour moi est le contraste absolu entre les scènes de guerre sauvages, parfois insoutenables, et la dernière partie du roman, lorsque Jonhson arrive dans cet ilôt de sérénité qui était l'ancienne propriété du maître, et où se revit la vie paisible vie d'avant, mais avec la différence énorme que les noirs sont libres et travaillent dans la joie, que les enfants du maître deviennent les élèves des noirs, et que Mérence règne sur toute cette idylllique communauté avec sa douceur et son autorité naturelle. C'est très beau et Dédale en parle magnifiquement bien.
mercredi 26 décembre 2012 à 20h40
Merci beaucoup Marie-Expedit. Je suis touchée

Pour répondre à votre question, je pense que Ti-Kou souhaite être formé aux canons de Pierre et Johnson, puis se les approprier en vue de bouter tous les blancs et autres étrangers hors de sa terre, et ainsi retrouver la terre originelle des Amérindiens, libre elle aussi de toute occupation. Mais voilà, l'Histoire ne lui a pas donné chance. Ce n'est que mon interprétation
vendredi 28 décembre 2012 à 11h20
Henry Bauchau réussit le tour de forces d'écrire des livres et pas seulement des nouveautés littéraires.
Difficile d' épuiser ce texte une fois le livre refermé.
Puis Antigone, Oedipe, à relire aussi absolument.
Merci chère Dédale de nous réveiller de nouveau à ce bel auteur.
Tous mes voeux.
dimanche 20 octobre 2013 à 13h00
Bbert, merci beaucoup.
Un jour j'arriverai à parler des recueils de poème de l'auteur. Un autre monde avec pourtant la même profondeur des idées, des valeurs.