Arline et Sean sont deux jeunes magiciens dont le maître est bien malade. Il a attrapé la Mort Blanche, un terrible fléau qui frappe le monde entier, mais bizarrement ne s'en prend qu'aux pratiquants de la magie.
Accompagnés d'un troll gigantesque qui leur sert de garde du corps, ils voyagent vers la Tour d'Emeraude, lieu qui est apparemment à l'origine du mal.
Aidés de Lorcan, un "limier des Marches du Sud" qui va les guider dans leur périple, ils vont affronter de grands dangers et être confrontés au Mal le plus ancien.

Pendant ce temps, le pays dévasté est au bord de la guerre civile. Parce que le pouvoir est vacant, Endrew, le fils d'un seigneur déchu et maudit, se proclame Haut-Roi d'Orlandie. A la tête d'une armée, il entend bien mater les derniers bastions de révolte, quitte à laisser l'épidémie s'étendre sur le monde et ne plus gouverner qu'une nation moribonde.

Auteur français spécialisé dans le genre de la fantasy, Nicolas Cluzeau entame avec ce premier volume une tétralogie de littérature jeunesse d'ambiance plutôt sombre.

Avec un sens du rythme certain et une écriture prenante, l'auteur brosse l'univers d'Orlandie avec maestria. D'ailleurs, que ce soit la carte de l'univers ou la manière d'aborder la diversité du territoire, cette tétralogie rappelle un peu Les Chroniques des Crépusculaires de Mathieu Gaborit, une excellente fresque de fantasy urbaine.

Nicolas Cluzeau pose un univers complet, crédible, peuplé d'être humains et de félins (des humanoïdes d'apparence féline, s'entend) dans lequel la magie est omniprésente. Au centre de l'Orlandie se trouve une île, les Franges Féeriques, où vivent druides et magiciens, garants de la liberté et du bien-être du peuple orlandais. Autour de l'Orlandie, d'autres continents, des principautés marchandes, des menaces potentielles. Bref, de quoi voyager, de quoi amener de l'exotisme et surtout pas mal d'ennuis pour nos jeunes magiciens car leur route va devenir de plus en plus dangereuse.

Malgré l'ambiance générale assez sombre et la menace mortelle planant sur les têtes des héros, Nicolas Cluzeau arrive à insérer quelques graines d'humour, des dialogues légers et même un début d'amourette. Ceci contribue nettement à faire apprécier les personnages, à s'y attacher et du coup à appréhender les coups du sort. Car Nicolas Cluzeau est un auteur espiègle qui adore maltraiter ses personnages, un peu à la manière de James Barclay, l'auteur de l'excellente saga d'Héroïc Fantasy Les Chroniques des Ravens. Le grand intérêt de son écriture est que les personnages tournent. Les principaux deviennent secondaires dans certaines actions tandis que les secondaires prennent le devant de la scène pour des actes héroïques, et parfois des sacrifices tout autant héroïques... D'où la frustration parfois de voir un héros que l'on aime et qui disparaît tragiquement.

Pour autant, c'est un très bon début qui pose l'univers et augure d'excellentes choses pour la suite.

Cœur de chêne

Extrait :

— Monsieur Lorcan O'Keefe, je vous trouve ici affalé tel un ostentatoire oisif, à ne rien faire d'autre que paresser au soleil.
— Couchant ! objecta le jeune homme avec un sourire amusé au coin des lèvres.
La jeune fille aux longs cheveux roux croisa alors les bras, tapa du pied, sa belle robe à fleurs se mouvant telle une vague autour d'elle.
— Fi de vos sarcasmes, monsieur Lorcan O'Keefe. J'attends de vous que vous m'invitiez ce soir au bal des réales du Jardin aux Fées. Ou vous irez, la prochaine fois, fêter avec une autre personne les rites du printemps fécond !
— Ma chère Gwyneth, répondit Lorcan à son égérie rousse, je m'en voudrais de devoir vous faire attendre plus...
Une secousse sur son gilet lui fit baisser la tête. un gamin, un de ces moineaux dépêchés pour transmettre messages et poulets, lui tendait une petite enveloppe scellée et sa main pour le pourboire.
Lorcan sourit à Gwyneth.
— Veuillez m'excuser, mademoiselle.
Il sauta au bas de sa caisse et, fouillant dans sa bourse de ceinture, donna un florin à l'enfant. Celui-ci lâcha la lettre avant de disparaître dans la foule des entrepôts. Gwyneth fulminait d'être ainsi ignorée, mais Lorcan n'y prêta pas attention. ouvrant la lettre, il en sortit un petit carton blanc sur lequel était écrit :

Monsieur O'Keefe,
Nous avons ouï grand bien de vos talents. Nous souhaiterions vous employer pour une mission dont la durée est indéterminée et dont nous discuterons de vive voix. Votre agent de la Chouette Aveugle nous a précisé vos prix et nous serons fort aise de vous payer les 50 florins par jour plus les primes de risques associées au caractère des services que vous nous rendrez.
Venez dès réception de ce message. Nous attendrons à ladite Chouette Aveugle jusqu'au matin de demain tharadi avant de faire appel à quelqu'un d'autre.
Cordialement,

Arline von Crommlynk et Sean MacLeery

Du travail, enfin. Les noms des deux compères ne lui disaient rien, à part peut-être celui de la femme. D'origine sarennoise, sans doute. Le MacLeery fleurait bon les hautes terres du nord de l'île, en revanche.
Puis l'ombre de sa cavalière du soir fut sur lui. Il enfonça le billet dans la manche de son pourpoint, prit la main de la demoiselle, l'effleura de ses lèvres et dit :
— Vous m'excuserez, chère Gwyneth de mon petit coeur battant, mais le devoir m'appelle. Je suis sûr que ce cher Agrav se fera un plaisir de vous faire danser comme un capri, ce soir, au son des cornemuses rhedyortes.
— Et les fusils des Yaxchilans ? lança son compagnon. La vente c'est demain matin, tu y seras ?
— Tout dépendra de mon nouveau contrat, mon cher.
Plantant là une Gwyneth furibonde et un Agrav qui s'approchait d'elle avec une expression bovine, Lorcan partit d'un pas rapide vers la porte nord de la ville.

Chroniques de la mort blanche T1
Chroniques de la mort blanche Tome 1 : avant les ténèbres de Nicolas Cluzeau - Editions Galapagos - 293 pages