Trois bateaux sont du voyage. Sur la Rosée, le bateau de tête, les passagers sont à l’image de la France de l’époque, de nombreux malfrats relaxés pour aller peupler la nouvelle France antarctique, des artisans convaincus de s’exiler pour trouver la terre de leurs rêves, forment un peuple bigarré de petites gens. Parmi eux, deux jeunes enfants Just et Colombe, sa sœur, orphelins, envoyés sur ce navire par leur tante afin de devenir truchements, à savoir apprendre la langue de ces indiens cannibales et pouvoir servir d’interprètes. Pensant retrouver son père au bout du voyage et voulant suivre son frère Colombe s’est travestie en garçon et c’est donc Colin qui est monté à bord…

Le voyage démarre par un fort coup de tempête et se terminera trois mois et demi plus tard devant le fleuve baptisé Rio de Janeiro par les portugais (fleuve de janvier, mois de sa découverte). Ils débarquent sur une île, ils n’avaient pas prévu les problèmes d’eau potable, de nourriture, la nécessité de faire commerce avec les indigènes s’impose.

Commence alors pour tous ces hommes un huis-clos forcé. Lorsque des renforts arrivent venus de Genève, envoyés par Calvin pour évangéliser les sauvages, c’est alors une partition de fait de la population en deux camps catholiques et luthériens. Dans ce vase clos tous les facteurs sont réunis pour le conflit religieux, conflit qui éclatera quelques années plus tard en France.

Jean Christophe Rufin nous brosse, avec talent, un tableau précis excessivement bien documenté de cette équipée, épisode oublié de l’histoire de la Renaissance. Plus exactement, il s’attache à son thème préféré, je cite celui de la première rencontre entre des civilisations différentes, l’instant de la découverte qui contient en germe toutes les passions et tous les malentendus à naître (p. 598).

Vous l’aurez deviné, je suis tombée sous le charme de cette plume alerte, vive, je pense que chacun peut y trouver son compte, roman historique, étude de la rencontre de deux civilisations, roman initiatique à la culture indienne, roman d’amour… sans oublier la superbe écriture de Jean Christophe Rufin qui rend la lecture de ce livre fluide et aisée.

Du même auteur : Globalia, Le Grand Cœur, La Salamandre, Immortelle randonnée. Compostelle malgré moi

Sylvaine

Extrait :

Just et Colombe attendirent un peu puis firent comme tous ceux qui arrivèrent après eux : ils se mirent à déambuler à leur guise sur le pont. N’ayant aucun adieu à faire du côté de la terre, ils allèrent s’accouder au plat-bord qui donnait sur la mer, où il n’y avait personne. Depuis leur promontoire flottant, le Havre-de-Grâce apparaissait comme une besace naturelle, enfouie dans le littoral, fermée par un double couvercle de digues toutes neuves. De l’eau noire et du ciel plombé, un acide d’infini s’égouttait sur les terres et ne tarderait pas à les dissoudre. Cette imminence de l’inconnu aurait dû leur faire éprouver du trouble. Ils se sentaient au contraire pleins de la confiance qu’ils accordaient d’instinct à leur père. Il avait toujours voulu leur faire partager son émerveillement devant la beauté du monde, et ce sentiment était presque plus fort en eux que le souvenir qu’ils avaient de sa personne.

Rouge Brésil
Rouge Brésil de Jean-Christophe Rufin - Editions Folio - 601 pages