Comme d'autres textes d'Ananda Devi, ce roman met en scène un personnage alité. Ici, toute la narration s'organise autour de cette situation qui est un huis clos. De même que le narrateur se sent enfermé dans cette chambre, le lecteur est enfermé dans les pensées nauséabondes de cet homme, Bissam Sobnath, qui tout en étant médecin s'est comporté en tyran avec sa femme, sa fille et sa petite-fille.

On apprend au début du roman que son épouse est morte alors qu'elle n'avait que vingt ans. Il ne reste que sa fille Kitty et sa petite-fille Malika. Elles attendent de l'homme qu'il leur dise enfin dans quelles circonstances son épouse est morte. Les souvenirs du vieil homme refont surface. Les seules images de sa femme qu'il se rappelle semblent être les couleurs de ses saris : bleu, rouge, vert. Il se souvient aussi de toutes les violences qu'il lui a infligées.

Le narrateur est évidemment un personnage extrêmement antipathique avec lequel il n'est pas possible d'éprouver la moindre empathie. Pourtant, est-ce un monstre ? Cette question est pour ainsi dire la problématique de ce roman. La violence envers les femmes ne peut-elle pas être exercée par des hommes ayant une apparence ordinaire ? À la violence exercée dans ce contexte familial font écho des violences situées à un autre niveau. L'auteure a inséré quelques références historiques (qui comme dans Pagli sont peu explicites). Le médecin se souvient ainsi de la façon dont il a sauvé sa peau lors des violences communautaires entre créoles et musulmans peu avant l'indépendance de l'Île Maurice en 1968.

Ce roman n'est pas mon préféré de l'auteure, mais il est construit de façon très originale !

Du même auteur : voir la bibliographie d'Ananda Devi.

Joël

Extrait :

Eh oui, il n'est pas aisé de tracer une ligne droite entre les monstres et nous. De l'autre côté de cette barrière, mon Dieu, qu'ils ont l'air ordinaire ! Je veux dire, des hommes comme on en croise chaque jour, pas plus grands ni plus musclés que d'autres, mais juste ce qu'il faut d'inflexible dans les yeux et la bouche pour que l'on reconnaisse en eux ce qui les sépare de nous.
Ou ce qui me sépare de vous, puisque vous avez décidé que j'étais de l'autre côté de cette ligne.
Les barrières sont faciles. Il suffit de planter un piquet, et puis d'autres s'y ajoutent. Un coup de maillet et le tour est joué. Rappelez-vous, tous les crucifiés ne sont pas des monstres.

Le Sari vert
Le Sari vert d'Ananda Devi - Éditions Gallimard - 215 pages.