Le lecteur suit ainsi la genèse puis les étapes de la création du chef-d'œuvre de C. Brontë, inspirées de sa vie personnelle et de celle de ses proches : orpheline de mère, envoyée enfant dans une horrible pension, plus tard gouvernante méprisée de ses employeurs et de leurs enfants, elle tombe amoureuse de son professeur à Bruxelles où elle est allée étudier le français, mais ces amours tournent court. Son personnage, Monsieur Rochester, sera sa revanche sur une vie terne. Avec Sheila Kohler, tout semble couler de source et s’emboîter parfaitement. Pourquoi pas ? Ainsi les promenades dans le jardin de Bruxelles avec son professeur inspireront à Charlotte les rencontres dans le jardin de Thornfield entre Jane et monsieur Rochester ; la cécité de celui-ci à la fin du roman, le laissera dépendant de l'héroïne, comme le père de Charlotte est dépendant d'elle en ce moment ; l'austère et sévère clergyman Saint-John aura des traits du père.
Quand j'étais Jane Eyre se veut roman et non biographie, bien qu'évidemment inspiré des nombreux ouvrages consacrés aux Brontë. L'auteure a tenté de recréer le climat si particulier dans lequel vivait cette famille décimée par des morts précoces, au fond d'une campagne reculée, dominée par un père pasteur, dur et rigoriste mais faible avec son fils unique alcoolique et drogué. Elle ne cache rien de la tendresse et de la complicité qui unit les trois sœurs, mais souligne aussi leur rivalité littéraire, car l'écriture est la grande affaire de leur vie : Charlotte dissimule à grand-peine sa déception de voir Le professeur encore une fois refusé quand les romans de ses sœurs finissent par être acceptés. Emily juge, sans le dire que le roman de Charlotte est le plus faible des trois. Mais la situation s'inverse après le succès foudroyant de Jane Eyre. Les œuvres d'Anne et d'Emily sont publiées plus tardivement et leur mort précoce les empêchera de recueillir les fruits de leurs efforts.
Au final, Quand j'étais Jane Eyre est un livre d'une lecture agréable qui contient de belles pages, (Charlotte en proie à ses démons, les rapports entre elle et son frère, les réflexions du père couché impuissant sur son lit), mais qui peut laisser le lecteur insatisfait : les détails biographiques dévoilés sont certes intéressants, mais laissent entier le mystère de la création !
Marimile
Extrait :
Elle lève son crayon et quitte des yeux son carnet, écoutant l'horloge sonner l'heure dans l'escalier, tandis que la pluie cingle la maison, que le temps se déchaîne. Il a plu tous les jours depuis qu'ils sont rentrés. L e vent d'ouest mugit alentour. Elle écoute ses notes, sent ses assauts contre les murs, une présence qui perce et vrille, tels les cris des âmes sans repos. Elle entend le grattement des crayons de ses sœurs, le cliquetis des aiguilles à tricoter de la servante, un roulement sur le toit. Leur frère s'est glissé dehors et a disparu dans le brouillard, les laissant tous attendre son retour dans l'angoisse. Elle essaye de poursuivre son histoire mais ne voit pas comment continuer. Depuis qu'elle est revenue à Hawworth avec son père, cloîtrée dans la maison, elle n'a pas écrit une seule ligne. Après avoir noirci du papier pendant des semaines à Manchester, presque sans s'arrêter, elle n'a plus une idée, une image, une pensée. Depuis que Jane a laissé son maître à Thornfield, abandonnant les malles de son voyage de noces, son rang de perles, Charlotte n'avance pas non plus.
Quand j'étais Jane Eyre de Sheila Kohler - Editions Quai Voltaire - 260 pages
Traduit de l'anglais par Michèle Hechter
Commentaires
jeudi 10 janvier 2013 à 21h03
Marimile, je comprends tout à fait ta passion pour les adaptations autour de Jane Eyre.
A signaler un livre totalement déjanté de Jasper Fforde : "L'affaire Jane Eyre"
Marimile, l'as-tu lu aussi ?
vendredi 11 janvier 2013 à 12h29
Non, je n'ai pas lu "L'affaire Jane Eyre", mais vais m'y intéresser de près. Merci de ma signaler ce livre.
mercredi 23 janvier 2013 à 13h30
J'espère le trouver à la médiathèque, après avoir tourné plusieurs fois autour en librairie!