Mais qui est donc cet homme presque chauve, à la barbe blanche et aux yeux bleus comme ceux de son père spirituel le grand Pasteur ? Alexandre Yersin est son nom. Vous n’en avez jamais entendu parler, d’accord, d’accord mais de Yersinia Pestis, le bacille de la peste isolé par ses soins ? Encore moins ?
Alors n’hésitez pas si vous êtes aussi curieux que cet homme de génie qui ne courrait après aucune gloire. Ouvrez la biographie que lui consacre Patrick Deville et vous serez stupéfiés.
Né en 1863 dans le canton de Vaux en Suisse, il rejoindra assez vite Paris et l’équipe de Pasteur. Après des recherches fructueuses en bactériologie et la découverte du bacille de la Peste il abandonnera Pasteur pour la compagnie maritime, l’Europe pour l’Indochine. De médecin, il devient marin, puis, comme son idole le Dr Livingstone, explorateur. Premier à découvrir un chemin terrestre du Viêt-Nam au Cambodge, il découvre un peuple, un art de vivre, il s’intéresse alors à la botanique, à l’agriculture et à l’arboriculture développant la culture de l’hévéa pour le caoutchouc et du quinquina pour sa quinine. Premier en Indochine à circuler en voiture, il fera ensuite construire une piste pour pouvoir y poser un avion (n’oubliez pas nous sommes dans les années 1920 ! ). Touche à tout, hypermnésique, griffonnant sans arrêt dans des petits carnets, il correspond avec le monde entier et se fait envoyer à Nha Trang les dernières nouveautés technologiques : moteur, astronomie, électricité, poulets rien ne lui résiste….
Il terminera sa vie en mystique se balançant dans son rocking-chair, dans sa grande maison carrée, entouré d’amis intimes scientifiques et passionnés comme lui. Mais comme le dit si bien Patrick Deville.
Comme nous tous Yersin cherche à faire de sa vie une belle et harmonieuse composition. Sauf que lui il y parvient.
À lire.
Sylvaine
Extrait :
De génération en génération, à part torturer les insectes, les distractions vaudoises sont réduites. L’idée même est suspecte. La vie en ces lieux un rachat du péché de vivre. La famille Yersin expie à l’ombre de l’Eglise Evangélique libre, issue d’un schisme à Lausanne au sein du protestantisme vaudois./…./
De cette froideur hautaine dans le gel bleu des dimanches, on dit que le petit jeune homme conservera la franchise abrupte et le mépris des biens de ce monde. Le bon élève par ennui devient un adolescent sérieux. Les seuls hommes admis à la Maison des figuiers, dans le petit salon fleuri, sont des médecins amis de la mère. Il faut alors choisir entre la France et l’Allemagne et leurs deux modèles universitaires. A l’est du Rhin, le cours magistral est théorique, la science proférée en chaire par les savants en costume noir au col de celluloïd. A Paris l’enseignement clinique au chevet du malade et en blouse blanche, le modèle dit patronal, dont l’inventeur fut Laennec.
Ce sera Marburg parce que la mère et les amis de la mère. Yersin aurait préféré Berlin mais ce sera la province./…/ Yersin obtempère pour s’éloigner des jupons.Bouger. Ses rêves sont ceux d’un enfant.C’est le début d’une correspondance avec Fanny (la mère) qui ne prendra fin qu’à la mort de celle-ci. /…/
Le français devient une langue secrète, maternelle, un trésor, la langue du soir, celle des lettres à Fanny.
Il a vingt ans et sa vie dès lors se dit tout en allemand.
Peste et Choléra de Patrick Deville - Éditions du Seuil - 228 pages
Commentaires
jeudi 24 janvier 2013 à 18h28
Je viens de terminer la lecture de "Peste et choléra". et Comme vous l'écriviez, Sylvaine,la vie d'Alexandre Yersin dont j'ignorais tout, est proprement stupéfiante! l'écriture de Patrick Dreville nerveuse et souvent caustique, rend à merveille, l'hyper activité d'un personnage hors norme, humanisant des aspects parfois austères. grâces soient rendues à l'auteur qui nous fait découvrir un savant bien oublié,et une époque qui semble bien lointaine! merci Sylvaine pour ce billet.
dimanche 14 avril 2013 à 17h26
Je n'avais pas lu encore
à sa sortie à l'automne : je viens de le faire ce week-end et comme Marimile j'ai été sous le charme de cette écriture fluide qui me rappelle un peu celle de Jean Echenoz sur un autre sujet. Merci Sylvaine de nous avoir fait le compte-rendu en quelques phrases de la vie d'un homme injustement méconnu, une sorte de touche-à-tout qui vécut du Second Empire jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, qui croisa des hommes illustres, et réussit dans tous les domaines où son immense curiosité s'exerça. Et si Yercin n'eut aucun Prix, P. Deville en méritait bien pour son récit : merci à lui pour ce plaisir de lecture qu'il nous a procuré.dimanche 22 septembre 2013 à 20h50
A mon tour d'ajouter mon petit mot. Je viens de terminer et je suis sous le charme d'Alexandre Yersin. Quel homme, quelle curiosité insatiable, quelle indépendance, quel génie ! Quelle époque où l'on pouvait croiser de tel personnage ! Rien n'était cloisonné semble-t-il, comme de nos jours. L'écriture de l'auteur ajoute à cette personnalité hors du commun : un ton un tantinet bougon, caustique. Genre "cause toujours, je fais ce que je veux, ce qui m'intéresse"
Mr Yersin, vous me manquez déjà.
J'ai adoré cette excellente lecture. Merci à M. Deville.