Gödel s'est rendu célèbre pour avoir démontré le théorème d'incomplétude (dont il existe plusieurs versions). Le but de l'auteure n'est heureusement pas d'expliquer ce dont il s'agit et comment cela se démontre ! Beaucoup ont voulu faire dire à ce théorème des choses qu'il ne dit pas, en dehors de tout cadre mathématique. L'auteure évite cet écueil et évoque plutôt des aspects du travail de Gödel qui sont moins connus, comme son intérêt pour la théorie de la relativité d'Einstein. Toutefois, le roman contient une petite poignée de courts développements mathématiques sur des sujets liés ou non à Gödel. Il sera ainsi question de l'hypothèse du continu, mais plus étrangement aussi du système de cryptographie à clef publique RSA. Les plus réfractaires aux mathématiques pourront sauter ces quelques pages, les autres n'y trouveront pas autre chose que de la vulgarisation mathématique assez bien faite. La seule maladresse que j'aie decelée réside dans une note qui laisse à penser que le théorème d'incomplétude de Gödel serait en quelque sorte un erratum à son théorème de complétude (je plagie ici mon professeur de logique de licence) ; les deux théorèmes ne sont nullement contradictoires, le théorème de complétude pouvant d'ailleurs être vu comme un outil permettant au mathématicien de mieux comprendre le sens du théorème d'incomplétude.
Le roman couvre une cinquantaine d'années de la vie d'Adèle Gödel, à partir de 1928. L'action se passe principalement en Autriche et aux États-Unis. Les atmosphères de ces lieux sont tout à fait opposées, entre le bouillonnement de Vienne et le calme paisible de Princeton. Le passage de l'une à l'autre s'est fait dans ces circonstances complexes liées à l'Histoire. Plutôt que de traverser l'Atlantique, le couple a dû prendre le Transsibérien avant d'embarquer pour San Francisco via Yokohama !
J'ai pris un certain plaisir à entrer dans ces diverses atmosphères ; j'ai particulièrement aimé les parties du livre qui se passent en Autriche. Les scènes situées à Princeton ressemblent davantage à un huis clos associant les Gödel au physicien Albert Einstein, mais les dialogues en sont néanmoins très savoureux. Le style de l'auteur n'est pas en soi du genre à éblouir le lecteur, mais on peut cependant soupçonner qu'il a été très travaillé. Ce n'est pas un travail qui paraisse laborieux, au contraire, le texte est aussi fluide que tranchant et recèle de nombreux clins d'œil !
Ce livre est avant tout le portrait d'Adèle Gödel, une femme très isolée qui a partagé la vie d'un homme dont le travail lui était complètement inaccessible. Ce point de vue est d'autant plus intéressant qu'elle et son mari ont été assez proches de personnalités marquantes du XXe siècle.
Extrait :
— Je ne vois pas comment mes théorèmes pourraient devenir populaires. Ils procèdent d'un langage logique trop ardu pour les profanes.
— La recette est pourtant simple. Un soupçon de raccourcis. Un brin de mauvaise foi. L'univers recèle-t-il des propositions indécidables ? Oui ! En conséquence, l'univers ne peut se penser lui-même. Donc Dieu existe.
— Kurt Gödel peut-il se penser lui-même ? Non ! Sa femme doit lui rappeler l'heure du déjeuner. En conséquence, Kurt Gödel n'est pas Dieu.
Mon mari se boucha les oreilles.
— Je ne vous écoute plus ! Vous dites vraiment n'importe quoi !
La Déesse des petites victoires de Yannick Grannec - Éditions Anne Carrière - 463 pages.
Commentaires
lundi 11 février 2013 à 17h25
Même si je n'ai rien compris aux savantes discussions entre ces scientifiques de haut vol ( et en cela, je ressemble à Adèle!), j'ai aprécié cette biographie romancée, et l'histoire de ce couple improbable qu'ont formé Adèle et Kurt Godel.Le style et la construction n'ont certes rien d'exceptionnel,mais on s'attache cependant au récit de ces vies peu banales.
lundi 10 février 2014 à 10h41
un livre très intéressant ,une époque fort mouvementée des personnages hors du commun (navrée Mr GÖDEL le principe de l'incomplétude m'est passé loin au-dessus de la tête!)à travers les souvenirs d'Adèle épouse, mère, nounou de Gödel , Y Grannec nous offre là sujet à réflexion !Que seraient ces génies sans une petite fée du logis amoureuse inconditionnelle de leur époux ,prête à tout sacrifier pour devenir leur vestale !Un texte avec souvent des longueurs, des facilités d'écriture mais au final plein d'atouts pour des esprits curieux