La littérature à la télévision, c'est souvent une histoire compliquée. Si, en France, Bernard Pivot reste le modèle indépassable pour de nombreux téléspectateurs, il est bien difficile de rendre par l'image et le temps télévisuel le travail, la beauté et la magie de la littérature. En participant à cette émission de télé-réalité montrant un écrivain au labeur, se battant pour faire avancer son roman et ses personnages, Gary est persuadé de réussir à montrer la valeur de la littérature. Soutenu par Miles, le producteur, et Ruth, sa femme, il s'engage dans le projet de façon très optimiste. Trop optimiste.

Car rapidement, les belles intentions du programme tombent à l'eau. D'abord, comme écrivain, Gary perd tout libre arbitre par rapport à son roman. Les évolutions des personnages et de l'intrigue sont soumises à l'approbation des spectateurs, qui se prononcent grâce à un système de j'aime, je partage. Gary se transforme en scribe des desiderata des votants, perdant la main sur son histoire. Mais ce n'est pas seulement l'écrivain qui intéresse le producteur : Gary est poursuivi jour et nuit par la caméra de Brandon, qui ne le lâche pas d'une semelle. Et comme dans toute émission de ce genre, il faut bien une histoire croustillante d'adultère. C'est là qu'entre en scène Alana, journaliste, qui devient pour l'émission et à son grand plaisir la maîtresse de Gary.

Seulement, tout cela ne fonctionne pas longtemps. Gary ne supporte pas la perte de son autonomie et le dit de plus en plus clairement lors de ses confidences face à la caméra. Cette sensation d'être toujours sous l’œil de la caméra l'insupporte et le rend irritable. Il doit surtout faire face à sa femme, opportuniste, attirée par l'argent de l'émission qui permet de compenser les maigres rentrées pécuniaires de son mari romancier. Machiavélique, sans scrupules aucun, elle incarne face à Gary rêveur, idéaliste et épris de liberté la figure de l'arriviste, pour qui tous les moyens sont bons. Ces deux personnages opposés donnent au roman une grande partie de sa saveur.

Il faut ajouter à cela que Pia Petersen utilise une très habile construction pour rendre son intrigue addictive. Rapidement, le lecteur comprend que cette émission n'est pas une réussite, et ne saisit les raisons de cet échec que progressivement. Tout cela mène à une grande scène finale où Gary, qui tente d'échapper aux caméras constamment braquées sur lui, se promène en ville. C'est une scène très bien rendue, très cinématographique, qui finit d'embarquer le lecteur dans cette réflexion ludique et intrigante sur la place de l'écrivain dans la société médiatique contemporaine.

Yohan

Extrait :

Gary retourne sa chaise et contemple la feuille vide devant lui. Il se tâte pour écrire mais à quoi bon ? Ça ne sert plus à rien. Le monde sombre dans l'ignorance, dans la déshumanisation, dans le totalitarisme, dans l'obsession de la sécurité, dans le profit, les hommes sont réduits à n'être plus que des vecteurs économiques, il y a trop d'hommes et ils ne comptent plus du tout, l'esprit critique n'est plus possible, remplacé par j'aime, je partage et lui, il se demande si ça sert encore à quelque chose d'écrire. A une époque, il pensait que la littérature contribuait à la construction de la société, qu'elle apportait une vision des choses. Elle était cet intervalle où il était encore possible de penser en continu, avec un fil conducteur. L'image, le mot par l'image, la transparence, la confession, accepter l'idée que l'image l'ait emporté, l'envie de baisser définitivement les bras, ne plus désirer changer le monde. Et maintenant ?

Un écrivain, un vrai
Un écrivain, un vrai
de Pia Petersen - Éditions Actes Sud - 224 pages