Le ton est donné sur cet Oradour-sur-Glane de Jean-Louis Marteil. Édité dans la collection Terre de mémoire, ce texte est le récit de visites de l'auteur dans ce village martyre de la seconde guerre mondiale. J'étais curieuse de lire l'expérience de J.-L. Marteil, auteur découvert dans un tout autre registre. Et puis, Oradour-sur-Glane a toujours eu sur moi une importance depuis que j'ai appris, très jeune, ce que représentait ce village.

Juin 44, partout la race des Seigneurs du Reich agonisant sème la terreur et la mort. Le 10 juin, la deuxième division de panzer SS Das Reich arrive à Oradour-sur-Glane. Tout ira vite, la troupe s'est déjà bien entraînée sur de nombreux villages de Russie.

Au milieu des ruines, l'auteur vit trois époques entremêlées, les frontières du temps en ce village meurtri sont si fragiles. Le premier temps où la vie est harmonieuse et joyeuse sous le soleil d'été. On imagine bien la place bruissante de cette noce devant l'église, le chahut des gamins dans la cour de récré.
Dans le second temps, c'est celui de l'arrivée des bourreaux encerclant le village dans le cliquetis de leurs chars, les ordres hurlés, les pleurs et l'incompréhension des villageois que l'on enferme dans l'église ou dans les granges. Intitule de tout dire. Peut-on ?
Dans le dernier temps, le contraste est fort entre le village en ruine, où les traces de l’ignominie sont encore visibles, où tout s'est arrêté et la rivière, la Glane, toujours aussi vivante cachée dans le sous-bois. Ses berges couvertes de myosotis.

Visites pour la mémoire, pour tenter peut-être de comprendre une telle barbarie. Moultes questions tournent sans fin dans notre tête : comment un être humain peut-il obéir à de tels ordres ? Comment un soldat peut-il être si détaché, indifférent au sort des êtres qu'il contrôle à l'entrée du village ? Lui entrera et ira à la mort, elle n'étant pas d'Oradour, sera refoulée et vivra. Loterie insane. Je n'arriverai jamais à comprendre. Car comprendre n'est-ce pas déjà commencer à admettre de tels actes ?
Et puis cette question lancinante : qu'aurai-je fait à ce moment-là si j'avais été du village ? Ou si j'avais été soldat allemand ? Comment aurai-je (ré)agit ?

Certains ont refusé d'obéir et sont mort pour l'avoir fait. C'était donc possible…

Il est bien évidemment impossible de ne pas être touché, éprouvé même par cette lecture. Tant par le retour sur cette sombre page de l'Histoire restée impunie que par la poésie si douce, si pleine de compassion, de colère aussi, de l'auteur pour dire l’indicible.

On n'échappe pas à Oradour, à la vision muette d'Oradour. […] A Oradour, il n'y a plus de bruit, plus d'appels. Plus d'enfants.

Un texte court mais si fort, essentiel sur l'obligation du souvenir et de vigilance. Un message que je ne peux que partager viscéralement avec l'auteur. Car Celui qui ne se souvient pas se condamne à souffrir la même chose.

Lisez et donnez à lire au plus grand nombre. Restez vigilants et n'oubliez pas.

Dédale

Du même auteur : La chair de la Salamandre, La relique, Le vol de l'aigle, L'os de frère Jean, L'assassinat du mort

Extrait :

Depuis trois journées, la colonne blindée se love dans les vallées, s'étire de village en village, reptile de fer au faciès de brute, sans regard, impitoyable et barbare chenille. Les énormes Tigre, les redoutables chars lourds qui équipent la division cuirassée, se fraient un chemin parmi les embuscades, défoncent les routes, rampent, dévorent, avancent. Au bout du chemin de sang, il y a les Américains, les Anglais, les Canadiens, les Français, les Polonais : la mort, nul n'en doute plus. L’Europe, le monde se venge. Sans aucune pitié, comme il était prévisible. Alors, le long de la voie royale vers le sacrifice suprême, il y aura donc la mort aussi. Ceux-là, les mal-venus, les pas-chanceux, ceux qui combattent, ceux qui ne veulent que vivre, tous paieront pour les autres ! Les Maîtres ont peur : la liste est si longue de leurs crimes, de leurs atrocités. Il n'y aura pas de pardon possible. L comme ailleurs, les cadavres s'ajoutent aux cadavres en foules anonymes ; le crime au crime ; la terreur à la terreur.
On ne compte plus.
Et à quoi bon ? Qui saura jamais combien d'êtres se sont couchés dans les charniers de Pologne et de Russie, combien se sont enfuis, fantômes de nuit et de brouillard, par les roides cheminées de Treblinka, de Sobibor ou d'Auschwitz ? Qui a seulement pensé à tenir à jour l'invraisemblable registre ?
La race des Seigneurs est enragée.
Ils paieront, tous sans exception. Les innocents, au hasard de la route, les enfants s'il le faut. La colère doit trouver à s'épancher, peu importe d'appartenir désormais à la race des Maudits ! On ne distingue plus rien dan ce magma que l'on tue, plus rien d'humain ne doit gêner la tragique fuite en avant des anges sombres à la dérive. Sur la longue route, tous vomiront la rançon sanglante de la défaite et de l'humiliation. Femmes et enfants d'abord. Ensuite seulement, il sera permis au surhomme de mourir, l'arme au poing, la rage au ventre, sa volonté de fer écrasée sous l'acier des divisions blindées venues de la mer… Il n'y aura aucune pitié, ni pour lui-même, ni pour quiconque.

Oradour-sur-Glane
Oradour-sur-Glane, aux larmes de pierre de Jean-Louis Marteil - Éditions La Louve - 92 pages