Ils sont trois, deux hommes et une femme. Trois personnages dont la vie restera toujours marquée par des événements produits dix-neuf ans auparavant, dans la banlieue d’Atlanta en Géorgie. Un meurtre sordide, commis apparemment de sang froid par un quatrième personnage, Smokey Nelson, qui passe ses dernières journées dans le couloir de la mort.

Catherine Mavrikakis prête sa voix aux trois personnages, tour à tour.
Il y a Sydney Blanchard, né sous le signe de Jimi Hendrix – le jour de sa mort – un black un peu paumé mais sympathique, qui relie Seattle et la Nouvelle Orléans, après le cataclysme de Katrina, avec pour seule compagne sa chienne Betsy qui est aussi sa confidente. Pendant un temps il a été pris à tort pour le meurtrier et a fait un long séjour en prison pour cette méprise.
Il y a Ray Ryan, un grand-père américain, blanc de peau, qui a sublimé le traumatisme de la perte de sa fille et de ses deux petits-enfants par meurtre, en une foi inconditionnelle en Dieu, qui ne l’abandonnera pas. D’ailleurs ce n’est pas Ray qui parle par la voix de l’auteure, mais Dieu lui-même qui s’adresse à Son très fidèle serviteur.
Il y a enfin Pearl Watanabe, grand-mère elle aussi, métisse, qui quitte Hawaï où elle a fait toute sa vie pour retrouver l’espace de quelques semaines sa fille Tamara et ses petits-enfants, qui habitent non loin de là où s’est déroulé le drame de sa vie.

Nous sommes à quelques jours de l’exécution de la peine capitale. Aux États-Unis, les coupables sont les derniers informés de la date et de l’heure exacte de l’exécution. Les avocats veulent encore croire à une possible annulation, mais tout porte à croire que l’injection létale aura bien lieu.
Les trois personnages centraux, eux, espèrent et craignent tout à la fois la fin de leurs tourments. L’annonce de la fin prochaine de Smokey Neslon réveillent en eux tout une série de souvenirs, émotions, sensations, qu’ils avaient parfois cherché à étouffer en eux.

De ces trois beaux et saisissants portraits d’hommes et de femme dans la tourmente, c’est peut-être le quatrième, celui de Smokey Neslon (il prendra la parole à la fin) qui est selon moi le moins abouti. Celui qui m’a en tout cas le moins touché.
D’une écriture à trois temps, comme une valse, Catherine Mavrikakis épouse les pensées et les sentiments de chacun d’entre eux au plus profond de son intimité.
Fébrile pour Sydney Blanchard : l’auteure, on le sent, a pour son personnage de jeune homme plutôt raté, une réelle tendresse.
Avec Ray Ryan elle emprunte un style enflammé pour décrire l’exaltation dans laquelle est plongé celui qui se sait attendu par l’Eternel. Au passage, le portrait de son fils Tom, un combattant de Dieu, n’a rien à envier au fanatisme d’autres religions dans sa détermination et son aveuglement.
Mais c’est avec Pearl Watanabe que l’auteur québécoise se révèle la plus fine : les relations mère/fille dans leur complexité sont décrites avec beaucoup de tact. Bien sûr, les deux femmes sont heureuses de leurs retrouvailles, mais la fille veut trop en faire, elle veut protéger sa mère, l’empêcher d’entendre aux informations la nouvelle de la peine capitale. La fille n’imagine pas l’impact qu’ont eu pour sa mère les événements vécus il y a dix-neuf ans. Personnage complexe, Pearl Watanabe est dépeinte avec beaucoup de subtilité.

Catherine Mavrikakis est née à Chicago mais cette romancière québécoise, diplômée en lettres, écrit en langue française. Son livre est imprégné de ce mélange de cultures auquel elle a été confrontée dès son enfance.
Faut-il enterrer ses souvenirs, surtout s’ils sont douloureux ? La vengeance permet-elle de trouver l’apaisement ? La peine capitale est-elle un soulagement pour les victimes ?
Au final, ce livre choral traite donc de multiples thèmes liés à la civilisation américaine avec une très grande acuité. Ce pays qui autorise encore aujourd’hui la peine de mort, contrairement à la plupart des pays occidentaux, et où les questions de morale et de société conduisent parfois à tous les excès : du puritanisme le plus obscurantiste à la croyance en une société melting-pot et intégratrice... qui aujourd’hui n’intègre plus personne : l’Amérique d’Obama, dans toutes ses contradictions.

Alice-Ange

(Les avis des autres membres du jury des Biblioblogueurs en suivant ce lien et ceux du jury des lecteurs dans les commentaires du billet)

Extrait :


T’inquiète pas, Betsy, on y retournera pas, là-bas ! Plus jamais ! je rentre chez nous pour de bon… J’ai eu ma leçon… On est plus très loin de Denver. C’est quoi le nom ce trou ? Je sais plus … Je regarderai plus tard… Hier, vers minuit, j’ai pris le premier hôtel pas cher sur le bord de l’autoroute qui avait un resto encore ouvert… J’étais claqué… Je suis encore trop fatigué, Betsy… Je vais me rendormir quelques heures… Oui, de quoi faire le plein et digérer la bouffe d’hier… Fais comme Gwen, ma douce ! Tu mens, tu prétends que tu m’écoutes, alors que tu penses complètement à autre chose… Oui, Gwen est comme ça… Comme toutes les filles avec leurs hommes… Un peu soumises, un peu rebelles… Faudrait que tu apprennes ! T’es pas assez lady, Berse… Tu dois jouer la candide… Remarque que tu t’y prends pas si mal, tout le monde me mène pas par le bout du nez comme toi, ma grassouillette… Je l’ai plantée là-bas, Gwen… Sans rien lui dire ! En fait, pas vraiment… Je lui ai quand même annoncé que j’allais passer deux semaines chez mes vieux, que je revenais bientôt… Mais qu’il fallait que je sois à La Nouvelle-Orléans pour la fin août… Oui, trois ans après Katrina, il est bien normal que j’aille dire bonjour à ma famille…

Les derniers jours de Smokey Nelson
Les derniers jours de Smokey Nelson de Catherine Mavrikakis – Editions Sabine Wespieser – 330 pages