Débarqués de Dehli, après une escale à Bombay, voilà nos trois français arrivés dans ce coin de paradis ; certes il fait chaud, très chaud, certes il y a beaucoup d’araignées dans les salles de bain, mais passer une semaine dans un superbe palace, au soleil, au mois de décembre, tous frais payés, cela vaut bien un petit effort : passer quelques heures assis autour d’une table de conférence devant un auditoire parfois clairsemé. Au fait pourquoi sont- ils venus ?

Eleuthère a accepté l’invitation pour découvrir un pays. D’accord mais les autres ? Quel motif a poussé Charlotte à laisser mari et enfants à New-York ? Roland à venir avec sa jeune épouse Renata (la cinquième..) ? Géraldine à quitter sa chère Bretagne et sa famille pour suivre Imtiaz et venir vivre à Trivandrum superbe pays certes mais dont elle ne parle même pas la langue après y avoir vécu plusieurs années ?

La plume de Catherine Cusset court vive et acérée. Avec son talent habituel Catherine Cusset dissèque ses personnages et leurs circonvolutions intellectuelles… Roland drôle, bon vivant et boute en train, arrive à nous faire oublier son côté vieux beau nombriliste et imbu de lui-même. Eleuthère joue à être ou est un écorché vif, retranché derrière un mur d’agressivité. Charlotte est en mal de réussite professionnelle et se recherche à travers une amie disparue. Géraldine est restée l’adolescente, orpheline de père, amoureuse de l’impossible, toujours à culpabiliser parce qu’elle ne peut pas faire mieux.
Cette semaine restera pour chacun un moment important et ils en sortiront tous différents, apaisés, grandis et prêts à affronter les jours à venir.

Un soupçon de David Lodge ou d’Allison Lurie, des tribulations parfois dignes de Bollywood, des répliques à l’emporte-pièce, des règlements de compte, enfants-parents, couple, homme-femme, amour-amitié, beaucoup de tendresse font de ce livre un bonheur de lecture.

Inconditionnelle de Catherine Cusset je suis  et inconditionnelle je reste….

Sylvaine

Extrait :

Retour à Dehli après dix-sept ans. Entre l’arrivée tardive de la veille, le réveil brutal ce matin (trois heures et demie heure de Paris), sa conférence à l’université, la table ronde cet après-midi et le cocktail à l’ambassade qui l’avait suivie, Roland n’avait pas eu une minute pour y penser. Il n’avait senti aucune émotion en mettant les pieds sur le sol indien hier, et n’en sentait pas d’avantage maintenant. Pas de petite madeleine .L’Inde était un passé mort et enterré. Il était désormais attiré par d’autres pays, comme le Japon.
Peut-être serait-ce différent mardi à Trivandrum, et surtout vendredi à Chennai où il avait rendez-vous avec Srikala. S’il avait accepté l’invitation à ce festival, c’était pour retourner dans le Sud où vivait Srikala et où il n’était pas allé depuis 1981 - vingt-huit ans déjà ! Il se serait passé de ces deux jours à Dehli.
À l’entrée du terminal il avait laissé une foule bigarrée de chauffeurs arborant des pancartes en alphabet hindi et latin, d’organisateurs de voyages, de porteurs de bagages et de familles - comme dans tous les aéroports du monde, sinon qu’il était une heure du matin. En dix-sept ans l’Inde s’était modernisée, l’aéroport était tout neuf, mais le temps et le sommeil y restaient sans valeur. Le terminal lui-même était désert, car il fallait acheter un ticket pour y entrer : le tarif de quatre-vingts roupies, un euro vingt, devait être rédhibitoire pour les Indiens. Hormis les militaires en tenue de camouflage qui sillonnaient le hall, la mitraillette sous le bras, seules attendaient cinq ou six personnes. Une femme appuyée contre un pilier leva les yeux de son magazine et le dévisagea. L’avait-elle reconnu ? Ici, c’était quand même peu probable. Il était simplement le seul occidental présent dans l’aéroport - et le seul en costume Kenzo.

Indigo
Indigo de Catherine Cusset - Éditions Gallimard - 320 pages