Sidonio Rosa est médecin. Lors d'un séminaire médical à Lisbonne, il a fait connaissance de Deolinda, une jeune Mozambicaine dont il est tombé amoureux, Pour la retrouver, il décide de s’installer comme coopérant à Vila Cacimba, une ville aux prises avec une épidémie qui transforme les gens en va-nu-puants. En attendant le retour de Deolinda partie en formation ailleurs, il rencontre des parents. C'est l'occasion pour Mia Couto d'offrir de très beaux portraits d'un couple hors norme.

Dans la famille des Sozinho, il y a Bartolomeu, vieux marin noir, ancien mécanicien sur le transatlantique Infante D. Henrique de la Compagnie colonial de navigation portugaise. Très vite, les deux hommes semblent bien s'entendre. Lors de ses visites, Sidonio aime écouter les histoires et autres divagations de son patient. Bartolomeu est malade, Moi et la maison souffrons de la même maladie, de Saudades. Il souffre aussi d'une maladie de famille. Lui aussi est en voie de se lézarder, avec ses pieds pleins d'écailles;quand le vieux ne lui demande pas de le guérir de ses rêves. Étrange demande s'il en est.

Le vieux et irascible rêveur est l'époux de Dona Munda, une femme qui ne manque pas d'attraits et de charme. Très vite, on sent quelques conflits ronger les relations du couple. A mots couverts, sibyllins pour le médecin portugais, c'est la guerre larvée entre les époux. Au point que Dona Munda avoue qu'il a foutu mes années en l'air. Maintenant, je souffre de rides jusque dans mon âme !

Voilà deux êtres vieillissant qui sont comme le doigt et la bague : on n'a pas besoin de l'un de l'autre mais on vit côte à côte.

A chaque visite, Sidonio va en découvrir un peu plus sur cette famille, leur relations avec l'administrateur de la ville. Il sent bien qu'on ne lui dit pas toute la vérité, surtout pas ce qu'il aimerait savoir au sujet de Deolinda. Où peut-elle bien être ? Quand reviendra-t-elle ?

Dans cette histoire, le lecteur embarque pour un voyage dans l'incertain, les mystères. Personne, même le médecin, ne dit la vérité ou bien l'arrange selon des intérêts secrets. A Vila Cacimba et plus encore chez les Sozinho, le jeu de l'imposture et du mensonge est roi. On y aussi parle d'esclavage, de métissage, des femmes mozambicaines, les effets de la colonisation, d'amour, de solitude, de la vie, de la mort.

Ne vous en faites pas, docteur. Mes pleurs sont à la mesure de mon mouchoir.

Le tout est servi par une langue pleine de trouvailles poétiques, de mots créés comme par magie. Impossible de vous les donner ici, le roman est truffé juste à point. Tout cela se lit très bien, comme toujours avec Mia Couto qui a l'art de titiller la curiosité, l'impatience de son lecteur avec une intrigue sur un quatuor où tout le monde ment ou ne répond jamais aux questions.
C'est tortueux au possible qu'on y perdrait presque son latin. Il faut des neurones bien en forme. L'ambiance serait presque étouffante. Mais l'auteur sait retenir l'attention de son lecteur par un bon mot, une illumination, qui le laisse pantois d'admiration.

Alors même si ici l'auteur est un tout petit peu moins flamboyant que dans L'accordeur de silences (peut-être dû à un effet de surprise plus ténu), il sait toujours autant jouer avec les ombres, les mystères, les mots et les couleurs d'un pays qu'il donne à aimer.

Dédale

Du même auteur : Tombe, tombe au fond de l'eau, L'accordeur de silences

Extrait :

Le médecin contemple la femme et jauge ses ressemblances avec sa fille Deolinda. Dona Munda est mulâtre. Dans la région, on ne connaît pas d'autre métisse qui ait épousé un Noir. Elle avait franchi le pas avec courage. Elle dut rompre avec sa famille qui l'accusa de « faire reculer la race ». Bartolomeu Sozinho fut également obligé de couper les liens avec les siens. Ramener une mulâtresse au sein de la famille était culotté, plus que cela : une trahison. « Mais elle est presque noire », objecta-t-il encore. « Les mulâtres sont noirs seulement quand ça leur convient », fut la réponse.
Le jour où le jeune Bartolomeu Sozinho, arborant le plus beau costume de son meilleur ami, se présenta devant la famille de la mariée, il proclama avec solennité :
- Je ne suis pas noir !
- Alors ?
- Je suis extrêmement mulâtre.
Malgré tout, ladite race, contrairement aux prévisions n'avait pas « rétrogradé ». Deolinda avait la peau claire, plus claire que sa propre mère. Sans parler des tons de la peaux cachés dans les replis de son corps.
- C'est vrai, elle est intégralement très claire, confirme Sidonio.
- Comment savez-vous ?
- Je suis médecin n'oubliez pas, Dona Munda, répond-il sans sourciller.
Rapidement, il donne une autre tournure à la conversation. - A propos, j'ai l'impression que notre Bartolomeu est de bien meilleur humeur, bien plus alerte.
- Le type - c'est comme ça qu'elle parle de son mari -, le type continue à s'imbéciliter à la fenêtre pour les filles qui passent… Au fond, il lui fait de la peine. Voilà des années que Bartolomeu salive à regarder les filles des rues. Un jour, quand il ouvrira la porte et qu'une nana aux chairs tapageuses surgira devant lui, le type tombera pétrifié.

Poisons de Dieu, remèdes du Diable
Poisons de Dieu, remèdes du Diable de Mia Couto - Éditions Métailié - 169 pages
Traduit du portugais (Mozambique) par Elisabeth Monteiro Rodrigues