Etats-Unis de la Terre, 2109. Des réplicants meurent dans des crises de folie meurtrière tandis qu'une main anonyme corrige les Archives Centrales de la Terre pour instrumentaliser l'histoire de l'humanité.

Bruna décide d'enquêter pour comprendre ce phénomène avant d'être embauchée par Myriam Chi, la présidente du MRR (Mouvement Radical Replicants) et qui sera à son tour assassinée. Rien ne va plus à Madrid !

Il faut dire que Bruna est une femme hors norme. Réplicante de combat, elle a effectué son service pour les opérations de milice. C'est une guerrière accomplie. A la fin de son temps, elle s'occupe comme détective privée. Elle bénéficie d'un physique particulier. En plus d'être belle, grande, sportive, elle est rasée et tatouée de la tête aux pieds sur tout le tour de son corps par une ligne noire, côté gauche. Ce qui peut poser quelques soucis quand on veut passer inaperçu. Mais Bruna a plus d'un tour dans sa mémoire. Elle a aussi pour ami, Yiannis, un vieil humain genre vieux gentleman du XXIe siècle qui lui a appris beaucoup de chose et sur qui elle peut compter.

L'intrigue démarre sur les chapeaux de roue, avec moultes péripéties pleines de suspense. Le récit de l'enquête est entrecoupé de rapport des archives centrales, bon moyen pour l'auteur de préciser le contexte géographique, historique, politiques du monde de Burna. Sachant que quelqu'un cherche délibérément à modifier le contenu de ces archives. Au grand dam de Yiannis, contrôleur aux Archives.

Comme toujours Rosa Montero sait parfaitement dresser le portrait du monde hypertechnologique où vit Bruna Husky et les autres protagonistes de son intrigue. Je vous passe les détails et même l'historique de la planète, le tableau noir de l'activité humaine sur le plan environnemental. L'auteur n'en rajoute pas mais dit bien ce qu'il y a à dire. Un regard lucide sur notre monde pris de folies. La surinformation hypercontrolée – Satanée société de pipelettes avec information centralisée et instantanée (suivez mon regard) -, les monopoles de certaines entreprises pour la vente d'air purifié, les fractures sociales, économiques importantes entre les riches et les pauvres, la violence urbaine, l'intolérance, l'individualisme à tout crin.

Pas évident de vivre sur cette planète. Surtout pour les androïdes qui n'ont qu'un temps de vie très court, juste 10 ans. Ils naissent toujours avec un âge entre 25 et 35 ans. Ensuite cette inéluctable et féroce TTT, pleine de souffrance qui met un terme à leur cycle.
De plus, les androïdes ont une mémoire implantée, rédigée par des spécialistes. On leur invente une vie sur le même schéma : une famille, des pères et mères qui ont toujours disparu dans la prime jeunesse du reps, on va même leur donner quelques souvenirs matériels (un collier, une photo... etc) pour rendre le tout crédible. Par cette mémoire, les reps sont programmés pour les activités auxquels ils sont destinés (exploitation minière, calcul, combat et plaisir, catégorie supprimée par la suite). Étrange vie que voilà ! Alors forcément certains se sont révoltés pour obtenir plus de droits ou au moins les mêmes que les humains. Conflits, guerres entre groupes et pays aux politiques différentes, traités de paix régulièrement écornés, racisme, haine...

Ce qui rend ce roman passionnant, c'est le rendu de toute la souffrance ressentie par les reps quant à cette mémoire tronquée, artificielle. Car la mémoire, la vraie, c'est la vie. Les fondations de toute identité.

Un coup de maître que ces Larmes sous la pluie. Une intrigue captivante, un monde effrayant qui pourrait être nôtre si l'on n'y prend garde, des personnages très bien campés, si humains. Et cette douce envie qui vous prend de voir ou revoir Blade Runner. Comme d'aller déguster avec Bruna et Yiannis, les sandwich aux algues et pignons dans le bar d'Oli. Ce havre de calme, de compréhension et de normalité dans ce mode de violences brutes.

Dédale

Du même auteur : Le roi transparent, Instructions pour sauver le monde, La fille du Cannibale

Extrait :

- Tu crois que l'ourse mourra elle aussi ? Demanda-t-elle.
- Nous allons tous mourir.
- Tu sais très bien ce que je veux dire.
Nopal se frotta les yeux d'un air las.
- Si tu demandes ça pour la TTT, il semble que oui. La durée de vie moyenne des animaux réplicants est apparemment un peu plus courte que la tienne, huit ans seulement. Mais quand cette Melba mourra, ils en produiront une autre. Une chaîne infinie de Melba dans le temps. Tout ça, je l'ai lu en t'attendant. Tiens.
Nopal sortit de sa poche une brochure du Pavillon et la jeta sur la table. Bruna la regarda sans y toucher : il y avait une photo tridimensionnelle de l'ourse. Une qualité médiocre, une brochure bon marché. Quatre ans, trois mois et dix-huit jours. La détective serra la mâchoire, accablée. Très souvent, plusieurs fois par jour et, naturellement, chaque fois qu'elle était nerveuse, elle se mettait à faire des calculs mentaux du temps qui lui restait avant la frontière fatidique des dix ans. C'était un tic, une manie qui la désespérait, mais elle ne pouvait pas empêcher sa tête de se lancer dans ce compte à rebours. Quatre ans, trois mois et dix-huis jours. C'était ce qui lui restait à vivre. Elle voulait arrêter, elle voulais cesser de compter, mais elle ne pouvait pas.
- Tu es très belle, Bruna. Très élégante, dit le mémoriste.
La rep sursauta. Pour une raison ou pour une autre, les paroles de l'homme tombèrent sur elle comme un reproche. Elle se sentit tout à coup trop habillée. Ridicule avec sa combinaison brillante et son collier en or. Elle rougit.

Des larmes sous la pluie
Des larmes sous la pluie de Rosa Montero - Éditions Métaillé – 402 pages
Traduction de l’espagnol par Myriam Chirousse