Lundi matin, 6h41, le train pour Paris quitte la gare de Troyes. Les passagers encore endormis s'apprêtent à entamer leur semaine de travail dans la capitale.
Cécile Duffaut n'aurait pas dû prendre ce train-là. En week-end chez ses parents, elle devait rentrer retrouver mari et enfant la veille au soir. Mais parce qu'elle voulait faire plaisir à ses parents, elle est restée une soirée de plus et s'en veut de cette faiblesse qui ne lui a rien apporté, si ce n'est un réveil aux aurores.
Philippe Leduc, employé d'une grande surface, a pris sa journée pour aller retrouver un vieil ami d'enfance hospitalisé à Paris. Dans la voiture où il rentre, il n'y a plus qu'une place de disponible. Celle à côté de Cécile Duffaut.
Philippe et Cécile. C'était il y a près de 30 ans, au sortir l'adolescence. Une relation amoureuse éphémère qui s'est mal terminée. Une histoire sur laquelle tous les deux ont fait un trait et qui resurgit au moment où il s'y attendent le moins. Que faire ? Saluer l'autre comme si rien ne s'était passé ? Changer de place en faisant semblant de ne pas se reconnaître ? Chacun de leur côté, à quelques centimètres l'un de l'autre, Philippe et Cécile vont passer les deux heures de trajet à se remémorer ces quelques mois de vie commune en se demandant si l'autre l'a reconnu.
Le choix du lieu est une excellente trouvaille. Cette situation aurait eu lieu n'importe où ailleurs, les possibilités d'évitement auraient été nombreuses. Mais ici, ils sont coincés dans un train bondé, avec cette proximité des corps si particulière aux voyages en transports en commun. Au huis clos s'ajoute la dimension temporelle. Ils ont deux heures et pas une minutes de plus. Deux heures pour décider s'ils se parleront ou s'ils s'ignoreront. Deux heures pour effectuer un voyage dans leurs souvenirs respectifs.
Si Jean-Philippe Blondel a achevé un cycle avec Et rester vivant, on retrouve ici tout ce qui fait le charme des romans de l'auteur. Et d'abord cette capacité extraordinaire à entrer dans la tête de ses protagonistes et à en dérouler l'écheveau d'humanité. Deux monologues qui se croisent et se décroisent, deux destins qui un jour ont fait un bout de chemin ensemble avant de prendre des directions opposées. Tout sonne juste. Cécile et Philippe sont tour à tour agaçants, attendrissants ou détestables. Jean-Philippe Blondel ne verse pas dans la caricature et prend soin au contraire de tous ces petits détails qui donnent de la chair à ses personnages. On retrouve aussi les thématiques qui lui sont chères comme le passage de l'adolescence à l'âge adulte et les fantômes du passé. Mais aussi Troyes et Londres ou encore l'amitié et la trahison.
Finalement, 6h41 n'est pas le roman de la rupture auquel je m'attendais, mais j'ai replongé encore une fois avec délice dans l'univers très humain de Jean-Philippe Blondel et j'en suis heureuse.
Laurence
Voir aussi :
L'interview de Jean-Philippe Blondel
Et rester vivant
Le baby-sitter
Passage du gué (Prix Biblioblog 2007)
1979
Juke-Box
Un minuscule inventaire
This is not a love song
Un endroit pour vivre
À contre-temps
Au rebond
G229
Extrait :
Bon, apparemment, je vais rester seule. Je n'ai aucune envie de compulser les derniers chiffres et les courriers en souffrance. Je vais reprendre le livre que j'ai acheté à la gare vendredi, à l'aller. Une espèce de saga familiale en Allemagne du Nord. Pas de quoi fouetter une chat - mais c'est reposant. Et c'est ce dont j'ai besoin ce matin, de repos. Je rentre de week-end et je suis épuisée. Ce n'est pas paradoxal. C'est ma vie.
Ah tiens, il y en a un qui cherche une place. Avance un peu. S'arrête. Jette un coup d'œil. Hésite. Reprend son chemin. Se retourne de nouveau. Je ne le fixe pas. Je détecte ses mouvements à la périphérie de mon regard. Pendant un moment, je crois que j'ai gagné, que mon indifférence a bâti un mur invisible contre lequel sa soif de confort se brise. Mais non. Un raclement de gorge discret et sa voix, un peu enrouée. « Excusez-moi, il y a quelqu'un à côté de vous ? » Toutes ces phrases idiotes que nous prononçons chaque jour. Je secoue la tête et soupire, pour bien montre à quel point il me dérange. Je pousse mon sac et m'autorise cette fois à le regarder en face.
Catastrophe.
6h41 de Jean-Philippe Blondel - Éditions Buchet-Chastel - 232 pages
Commentaires
jeudi 7 février 2013 à 08h23
Ma libraire m'en a dit beaucoup de bien !
jeudi 7 février 2013 à 14h24
je prends le train le plus tôt possible:)
jeudi 7 février 2013 à 17h46
Bonjour Laurence !
Ton billet m'a donné envie de me lancer à la découverte de Jean Philippe Blondel que je ne connais pas du tout (honte à moi !) Par quel titre me conseilles-tu de commencer ? Si je ne me trompe il a reçu un prix Biblioblog avec "Passage du Gué" ?
A bientôt...
jeudi 7 février 2013 à 19h53
Yohan : ta libraire a bon goût
Sylvaine : tu me diras si le voyage a été bon.
Martine : Passage du gué reste effectivement mon préféré. Je ne peux que le conseiller.
jeudi 7 février 2013 à 21h12
Je crois que tu as eu l'occasion de la croiser, et qu'elle a un peu sévi par ici
vendredi 8 février 2013 à 07h01
Yohan : j'avais bien compris
lundi 11 février 2013 à 18h43
J'ai un peu honte : c'était mon "premier" Blondel... J'avais parcouru rapidement la chronique (je déteste connaitre l'intrigue, aussi je survole et vais directement à la fin pour la petite synthèse! J'y reviens après ma lecture bien sûr!)
Je dois dire que je n'y ai pas trouvé vraiment matière à l'exaltation, un livre un peu "convenu", style copains d'avant, quelques passages plus amusants (les fesses de Philippe!) et bien ciselés , mais j'y ai vu beaucoup de clichés: les beaux qui deviennent laids, les moches qui deviennent belles, les seconds qui deviennent premiers.... Le mystère qui plane dès le début pour se dévoiler petit à petit...La phrase fatale qui transforme votre vie...(fourmi)Tout cela , pour moi n'était pas naturel.
Cependant, ce petit voyage en train ne m'a pas déplu, je me suis laissée promener et j'ai cédé à la facilité , livre de weekend que je laisserai sur une étagère de cette maison de bord de mer où chacun cherche une détente aussi dans ses lectures! Certains passages étant vraiment sensibles, votre avis positif...je me suis immédiatement lancée dans "passage du gué" que j'ai lu presque d'une traite, que j'ai "avalé" devrais-je dire , et j'ai mieux compris votre chronique concernant 6h41.( Je tenterai un commentaire dans la bonne rubrique!). Mais vraiment ce nouveau livre est une pale imitation , avec des redites ( développement sur "bonne continuation", un procédé d'écriture similaire avec l'introspection de chaque personnage qui parle à tour de rôle.
J'ai bien sûr envie d'aller plus loin dans la connaissance de cet auteur, conseillez moi!
Pour le moment je ne peux que cautionner votre prix pour "Passage du gué"!
lundi 11 février 2013 à 19h32
Ah Fée clochette, que ton commentaire me fait plaisir ! Non parce que tu n'as pas trouvé 6h41 assez consistant mais parce que tu es tombée toi aussi sous le charme du Passage du Gué. Reste maintenant la question délicate : que conseiller ensuite ? Je l'ai déjà écrit et peux donc le refaire ici sans problème, Passage du Gué reste pour moi, le plus beau roman de Blondel. Peut-être pourrais-tu tenter Et rester vivant qui marque la fin d'un cycle et dans lequel on retrouve toutes les préoccupation et thématiques des romans précédents ?
lundi 11 février 2013 à 19h55
Je vais suivre ton conseil! Mais mon ventre est encore plein d'éclairs comme ceux qui nous éblouissent après les flashs lorsque nos yeux sont clairs, la photo pour moi était magnifique mais aussi difficile à regarder....Passage du Gué parle au ventre des femmes avec force et réverbération. Je vais faire une petite pause....!
lundi 11 février 2013 à 20h28
Je me souviens avoir lu le passage à la maternité en apnée (je crois que j'en parle dans mon billet d'ailleurs). Si je peux te conseiller un autre roman et un autre auteur, je t'invite à lire L'attente du soir de Tatiana Arfel.
lundi 11 février 2013 à 20h32
Merci!
lundi 18 février 2013 à 16h20
Un auteur découvert il y a peu. Je note ce titre.
samedi 23 février 2013 à 09h30
je rejoins l'avis de Laurence et de la Fée clochette si 06h41 est plein de très bons passages Passage du gué m'a lui laissé un souvenir indélébile .
A noter cependant que ce 06h41 est très médiatisé et que Blondel mérite à mon sens cette notoriété élargie:)